“Sunlanders”, rêves japonais
Le photographe américain Sean Lotman dévoile dans cette série argentique un Japon hors du temps, fantasmatique.

© Sean Lotman
Lorsque Sean Lotman, photographe américain installé au Japon depuis 15 ans, imagine cette série publiée en 2016, tout est déjà très clair : il souhaite que ses clichés ne s’inscrivent pas dans une période précise et qu’ils s’envisagent à rebours de la représentation archétypale du Japon. « Je voulais faire un livre de photos qui bouleverse et déconcerte nos façons bien ancrées de voir et de penser le Japon en raison de ses archétypes bien commercialisés », explique-t-il dans une interview à Pen.
Le nom même de la série, Sunlanders, a été inventé par l’artiste en référence au qualificatif « Pays du Soleil Levant » qui véhicule, selon lui, une image éculée. « J’ai inventé un mot qui, je l’espérais, pourrait suggérer un certain aspect tribal du peuple nippon, dont la famille impériale descend d’Amaterasu, une déesse du soleil, qui est aussi une divinité de la création. »
Reconstituer des réalités parallèles
Sur les clichés qui composent Sunlanders, compilés au fil de cinq années de voyage à travers le pays, on observe des sumo à l’entraînement, des chauffeurs de taxi arrêtés au milieu de la nuit ou encore des promeneurs qui arpentent les allées enneigées d’un sanctuaire. Des photos prises à l’argentique puis développées par l’artiste dans sa propre chambre noire, avec l’envie de travailler particulièrement leur palette chromatique, en utilisant la technique du dodge and burn, qui assombrit ou éclaircit diverses zones de la photo, ou en travaillant l’intensité des couleurs, notamment les rouge, vert et bleu.
« En tant qu’artiste, ce qui m’intéresse le plus, c’est de reconstituer des réalités parallèles aux nôtres, quelque chose d’un peu familier mais en même temps pas du tout. Je veux donc que cette atmosphère d’étrangeté s’articule avec la palette Technicolor », détaille Sean Lotman. « Cela peut prendre des heures et il y a beaucoup d’échecs, mais je parviens souvent à trouver la meilleure façon d’illustrer l’humeur d’une image. Tout doit être très précis. Pour moi, c’est ce qui est le plus amusant dans l’impression, car cela m’aide à voir au-delà de ce que nous sommes habitués à voir. »
Une absence de tout repère temporel
Pour cette série Sean Lotman s’est inspiré des photographies de Robert Frank et de sa démarche artistique. Comme lui, Sean Lotman photographie ce pays qui n’est pas le sien mais dans lequel il est en train de s’installer définitivement. Là où leurs chemins divergent c’est dans le récit qu’ils construisent de leur travail photographique. « Robert Frank essayait de raconter l’Amérique telle qu’elle était vraiment à ce moment-là, au milieu des années 1950, je faisais quelque chose de tout à fait différent. Je n’étais pas satisfait de la présentation commerciale, organisée et filtrée que le Japon faisait de lui-même et de la façon dont elle était traitée par les médias nationaux et internationaux », analyse Sean Lotman. « J’ai donc essayé de rendre ma version extrêmement personnelle, en créant une vision du Japon qui ne ressemblait pas à ce que nous supposions. »
Une version personnelle mais aussi dénuée de tout repère temporel. Lorsque l’on observe Sunlanders, aucun smartphone, ordinateur, logo d’entreprise ou autre signe contemporain n’apparaît, ce qui rend quasiment impossible la datation de la série à une quelconque époque. « Un certain nombre de personnes ont dit que le livre donnait l’impression d’avoir été réalisé dans les années 1970, ce qui me réjouit car j’aime l’esthétique des années 1970 et c’est probablement le moment que je préfère dans l’histoire de la photographie japonaise », conclut Sean Lotman.
Sunlanders (2016), une série de photographies par Sean Lotman publiée aux éditions Bemojake.

© Sean Lotman

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© Sean Lotman

© Sean Lotman

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