Un père, le Japon rural des années 1950 et Instagram

Après avoir découvert les archives photographiques de Shoichi Kudo, sa fille les a diffusées sur les réseaux sociaux avec un succès inattendu.

16.08.2022

TexteHenri Robert

© Shoichi Kudo

À l’extrême nord de l’île principale de Honshu, dans la région de Tohoku, la ville portuaire d’Aomori est aujourd’hui connue pour son grand festival Nebuta Matsuri, où des millions de visiteurs viennent admirer d’immenses chars illuminés.

C’est une autre facette de cet environnement qu’a capturé au sortir de la Seconde Guerre mondiale le photographe Shoichi Kudo. Décédé en 2014, son travail est mis en lumière par sa fille qui, en 2017, découvre des boîtes remplies de négatifs non développés. Elle les publie alors sur Instagram et, face à l’enthousiasme du public, l’ouvrage Aomori 1950-1962 est publié par l’éditeur Misuzu Shobo en 2021.

 

Un Japon rural et pauvre au sortir de la guerre

Originaire d’un milieu très populaire, Shoichi Kudo n’a pas suivi d’études supérieures. Autodidacte, il parvient à collaborer avec des magazines tels que CAMERA et Nippon Camera, et attire l’attention de grands noms du monde de la photographie à l’instar de Ihei Kimura, Ken Domon et Hiroshi Hamaya. En raison d’un manque de confiance en lui et notamment d’un sentiment de non-légitimité (sociale), comme l’explique sa fille, Shoichi Kudo renonce pourtant à rejoindre des publications prestigieuses et poursuit sa carrière dans le journal local d’Aomori, To-o Nippo Press, tout en continuant à prendre des photos pour son plaisir personnel. Pendant plus de six décennies, une partie de son œuvre est restée cachée dans le grenier de sa maison, avant qu’elle ne soit découverte par sa fille.

Les photographies en noir et blanc réalisées par Shoichi Kudo (né en 1929) présentent un Japon rural, pauvre, qui commence à peine à se remettre de la guerre, dans une région connue pour son climat rude, ses longs hivers. Elles sont des instantanés de l’environnement quotidien du photographe. « Beaucoup de photos datent du début des années 1950 et semblent être des instantanés, pris lors de ses trajets entre la maison de Kitakanazawa, où il vivait avant de se marier, ou depuis Okidate, où j’ai grandi, et son travail chez To-o Nippo à Shinmachi », précise Kanako Kudo dans la postface de l’ouvrage. « Avant d’acheter une voiture, il me semble qu’il prenait tous les jours son appareil photo à cette occasion. D’autres photos ont peut-être été réalisées pendant des vacances prises avec des amis photographes, ou lorsqu’il partait en reportage, mais ce ne sont que des suppositions ».

Les enfants jouent dans la neige, font de la luge ; ils occupent une place importante dans les clichés de Shoichi Kudo. Les photographies — dont le niveau de maîtrise technique explique également leur succès populaire — présentent des portraits d’individus souriants, chaleureux. À l’arrière-plan apparaissent le dénuement matériel et la rudesse propre aux tâches menées par les sujets, notamment dans l’industrie de la pêche.

 

Un double hommage

La force du mode de diffusion de ces photographies, sur Instagram, permet des échanges empreints de nostalgie, nombre de commentaires relatant les expériences similaires de leurs ancêtres, du respect pour cette génération, de l’admiration. « À ma grande surprise, le compte Instagram est très populaire à l’international, ces photographies semblent donc également toucher des gens qui ne connaissent pas Aomori. Je crois qu’il y a quelque chose de puissant dans ces photographies, qu’elles donnent le sourire, représentent de manière vivante l’environnement social de la région de Tohoku à cette époque, et une partie de la culture oubliée d’Aomori », poursuit la fille du photographe.

Si Kanako Kudo questionne l’éventuelle volonté de son père de voir ses photographies mises en lumières sur les réseaux sociaux, sa décision est motivée par le sentiment que la conservation de ces négatifs par Shoichi Kudo laisse à penser qu’ils étaient importants pour lui. C’est un double hommage, à son père et la beauté de son travail, et aux visages et à la vie des hommes et des femmes qu’il a immortalisés.

 

Aomori 1950-1962 (2021), une série de photographies par Shoichi Kudo publiée par Misuzu Shobo. Kanako Kudo publie par ailleurs les clichés de son père sur un compte Instagram.

© Shoichi Kudo

© Shoichi Kudo

© Shoichi Kudo

© Shoichi Kudo

© Shoichi Kudo

© Shoichi Kudo

© Shoichi Kudo

© Shoichi Kudo