Yoshu Chikanobu, déjà nostalgique au XIXème siècle

Ses estampes, réalisées lors de l'ouverture au monde du Japon, captent les derniers instants d'une société préservée de l'extérieur.

31.05.2021

TexteHenri Robert

Yoshu Chikanobu - “Comparison of Famous Sites and Beautiful Women: Suzumegaura, Musashi Province, undated” (c. 1897-1898)

Lors de l’accession au trône du 122ème empereur du Japon, Yoshu Chikanobu est âgé de 30 ans. Sa carrière d’artiste est alors mise entre parenthèses par la Guerre de Boshin et il est capturé à l’issue de la Bataille de Hakodate. Pourtant, si dans sa jeunesse il a été formé aux arts martiaux, ce sont ses talents d’artistes qui lui ont permis d’être rapidement libéré, sa réputation ayant accéléré la procédure. En 2006, l’auteur Bruce Coats revenait sur cette fascinante œuvre et son contexte dans l’ouvrage Chikanobu: Modernity and Nostalgia in Japanese Prints.

L’aventure de Yoshu Chikanobu commence avec une formation à la peinture à l’École Kano. Il étudie ensuite la gravure auprès de Keisai Eisen et Utagawa Kuniyoshi, avant de rejoindre le studio d’Utagawa Kunisada I. Comme l’explique Bruce Coats, l’artiste, né en 1838, commence à travailler dans le style Kunisada, avant de s’en détourner. « Au fil du temps, les femmes de Chikanobu deviennent plus grandes, plus minces et plus gracieuses dans leurs gestes, établissant un nouveau canon de beauté pour la période mi-Meiji, qui reflétait un regain d’intérêt pour les estampes produites cent ans plus tôt ».

 

Culture et combats

Car l’œuvre de Yoshu Chikanobu est marquée par son rapport au temps, et sa nostalgie d’une période révolue, alors qu’il voit le pays s’ouvrir à l’Occident. Ses gravures sur bois, qui prennent également la forme de diptyques et de triptyques, sont consacrées à des sujets traditionnels, des portraits, et abordent des aspects de la culture japonaise alors en voie de disparition. Elles mettent en scène des samouraïs et nombre de figures féminines héroïques, renvoyant au passé. Cette nostalgie est notamment illustrée dans la série Chiyoda Inner Palace (1895-1897), qui dépeint la vie des femmes au sein du château d’Edo avant la restauration Meiji en 1868, lorsque le palais abritait le shogun et sa cour, avant qu’ils en soient chassés. Dans Chiyoda Outer Palace: Sanno Festival (1897), l’artiste s’intéresse au défilé de chars, banderoles, musiciens et groupes spécialement habillés se rendant au sanctuaire Hie-jinja au château d’Edo.

Une partie du travail de Yoshu Chikanobu se concentre par ailleurs sur des thématiques historiques, telles que la rébellion de Satsuma (1877) et la guerre Sino-Japonaise (1894-1895). L’ouvrage réalisé par Bruce A. Coats est la première monographie en anglais sur l’artiste et illustre ainsi une période clé de l’Histoire japonaise, qui amorce l’occidentalisation de l’archipel et ses conséquences sur les modes de vie de ses habitants.

 

Chikanobu: Modernity and Nostalgia in Japanese Prints (2006), un ouvrage de Bruce A. Coats édité par Hotei Publishing.

Yoshu Chikanobu - “Chiyoda Inner Palace: Evacuation” (1895-1897)

Yoshu Chikanobu - “Chronicle of the Dan-no-ura Helmet, Koto Torture Scene”, 1898

Yoshu Chikanobu - “Consolation Picture of Prince Hana no Azuma”, 1878

Yoshu Chikanobu - “Chiyoda Inner Palace: No. 14 Mountain Village Teahouse”, 1896

Yoshu Chikanobu - “Chiyoda Outer Palace: Sanno Festival”, 1897