6000 vies sauvées, récit d’un Juste japonais

Dans l’ouvrage “Visas pour 6000 vies”, l'épouse de Chiune Sugihara raconte comment le consul japonais en Lituanie sauva des milliers de Juifs.

28.03.2022

TexteHenri Robert

© Éditions Picquier

C’était l’été 1940, il fallait fuir. Malgré le refus du gouvernement japonais, Chiune Sugihara aide des milliers de Juifs à quitter la Pologne et d’autres pays d’Europe orientale, avec pour objectif de rejoindre le Japon via la Russie.

Sa femme, qui l’accompagne dans son œuvre, retrace cette aventure héroïque dans un récit publié au début des années 1990. Cet ouvrage a depuis été traduit en anglais et français.

 

Un diplomate versé dans l’espionnage

Né en 1900, Chiune Sugihara se passionne dès le début de sa vie pour les cultures étrangères. Passé par l’université Waseda, polyglotte (russe et anglais), il est militaire pendant deux ans, et est notamment affecté en Corée. En 1924, il est nommé secrétaire au Ministère des Affaires étrangères, puis rejoint la Russie.

Sous le pseudonyme de Sergueï, il se convertit au christianisme orthodoxe grec et épouse une femme russe, Klaudia Semionovna Apollonova. En URSS il recrute des espions russes pour le compte du Japon ; il est finalement expulsé du pays. Au Japon, il se marie en secondes noces avec Yukiko Kikuchi. Après diverses missions, notamment d’espionnage, il prend la direction de Kaunas en 1939, et est nommé vice-consul du Japon en Lituanie.

 

Le Oskar Schindler japonais 

La victoire de l’Allemagne nazie sur la Pologne et le pacte germano-soviétique coupent le pays en deux (l’Est étant cédé à l’URSS), et les ambassades étrangères ferment. Les Juifs tentent de quitter l’Europe, en traversant l’URSS, et sur conseil d’un diplomate hollandais, se tournent vers le consul japonais Chiune Sugihara. Malgré les demandes répétées de ce dernier, le Ministère des Affaires étrangères japonais refuse de délivrer des visas, considérant que la participation du Japon au Pacte tripartite l’en empêche. Mais Chiune Sugihara refuse d’abandonner ces gens à l’horreur qui les attend.

Comme le relate Yukiko Sugihara dans le livre Visas pour 6000 vies, jusqu’à la fin août, au consulat, puis dans un hôtel après la fermeture de la représentation diplomatique japonaise, il s’attèle à cette mission, et négocie notamment l’achat de tickets de Transsibérien à un tarif réduit auprès des Soviétiques. Les historiens estiment à 2000 le nombre de visas familiaux délivrés par Chiune Sugihara, sauvant la vie à environ 6000 personnes.

Ses aventures le conduisent en Roumanie, où les Soviétiques l’arrêtent avec sa famille. Ils sont enfermés pendant un an et demi dans le camp de prisonniers de Gensha. Lorsqu’il retourne au Japon en avril 1947, il est écarté par le Ministère des Affaires étrangères en raison de l’acte de désobéissance réalisé à Kaunas en 1940.

Il s’exile un temps à Moscou, avant de revenir au Japon en 1968. Chiune Sugihara est par la suite honoré à de multiples reprises par l’État d’Israël. En 1985, un an avant sa disparition, il reçoit l’équivalent du prix Nobel de la paix israélien et un mémorial est érigé en son honneur. En 2019, une plaque commémorative est inaugurée à la Chambre de l’Holocauste du Mont Sion, à Jérusalem. La vie de Chiuna Sugihara a été retracée dans le film Persona Non Grata sorti en 2015 au Japon.

 

Visas pour 6000 vies (2019), un ouvrage de Yukiko Sugihara paru aux Éditions Picquier.

Chiune Sugihara

Un cerisier est planté en mémoire de Chiune Sugihara à Vilnius en Littuanie. A l'image, la veuve de Chiune Sugihara et le président de la Littuanie, Valdas Adamkus © Rimantas Lazdynas