Les instants suspendus du cinéma d’Ozu
Les pillow shots, ces petits moments comme hors du temps distillés au cours de ses films, sont une signature du cinéaste.
Fin d'automne © 1960-2013 Shochiku-Co.-Ltd.
Dans son cinéma aux intrigues minimalistes et qui semble chercher l’épure, Yasujiro Ozu insuffle de courtes pauses. Il insère, au fil de la narration, des petits moments comme suspendus, des images immobiles. Ce que l’historien du cinéma Noël Burch qualifie de “pillow shots” dans son ouvrage Pour un observateur lointain – Forme et signification dans le cinéma japonais et qui sont aussi parfois appelées stases ou natures mortes. Éclot alors avec elles un autre temps, pas tout à fait celui en cours dans la fiction, sans lui être totalement étranger. Si Noël Burch voit dans ces pillow shots des instants qui « suspendent le flux diégétique, sans jamais contribuer à l’avancement du récit proprement dit », le philosophe Gilles Deleuze explique y lire, dans Cinéma – L’image-temps, la « représentation du temps ».
Décentrer le regard du spectateur
Ainsi, ces plans en apesanteur interrompent le mouvement. Font disparaître de l’écran les comédiens pour mettre l’accent sur des objets du quotidien, un intérieur, des panneaux de signalisation ou encore un ciel nuageux. Une poignée de secondes arrachées à l’intrigue pour ensuite potentiellement faire réapparaitre les protagonistes. Un subtil jeu de balance entre les vides et les pleins.
Certains pillow shots se distinguent particulièrement. Le long plan sur un vase en porcelaine, filmé dans Printemps tardif (1949), le linge volant au vent suspendu sur une corde à linge dans Bonjour (1959) ou encore le couloir dans la pénombre, où l’on peut deviner au fond un personnage perdu dans ses pensées, comme une introduction, un indice sur la scène à venir dans Le goût du saké (1962). Bouilloire, lanterne, pagode, espaces déserts se déploient alors comme des outils de compréhension de l’histoire, que chaque spectateur peut envisager à sa manière.
Yasujiro Ozu a également une autre signature : sa manière si particulière de placer sa caméra, en permanence perchée à 90 cm du sol, environ à la hauteur d’un homme assis sur un tatami, et qui permet de reconnaître ses films en un coup d’oeil. Des subtilités qui permettent, entre autres, d’expliquer la fascination pour le cinéma d’Ozu, alors que la France ne le découvre qu’en 1978 : 25 ans après le tournage de Voyage à Tokyo.
Noël Burch analyse les pillow shots dans son livre Pour un observateur lointain – Forme et signification dans le cinéma japonais, 1982, éditions Gallimard.
Le fils unique © Shochiku-Co.-Ltd.
Le goût du saké, version restaurée © Shochiku-Co.-Ltd
Le goût du saké, version restaurée © Shochiku-Co.-Ltd
Le goût du saké, version restaurée © Shochiku-Co.-Ltd
Bonjour © 1959-2013-Shochiku-Co.-Ltd.
Le goût du saké, version restaurée © Shochiku-Co.-Ltd
Le goût du saké, version restaurée © Shochiku-Co.-Ltd
Le fils unique © Shochiku-Co.-Ltd.
Le goût du saké, version restaurée © Shochiku-Co.-Ltd
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