Les plaisirs démoniaques de Jun’ichiro Tanizaki

L'auteur japonais, connu pour “L'éloge de l'ombre”, signe “Dans l’oeil du démon”, un roman policier haletant et à l’intrigue sulfureuse.

18.11.2020

TexteClémence Leleu

Jun'ichiro Tanizaki (Creative Commons)

« Sonomura ne faisait pas de mystère des troubles mentaux qui se transmettaient dans sa famille, et je savais depuis longtemps la véritable mesure de raison et de folie qu’il y avait en lui. » Dès la première ligne de Dans l’oeil du démon, Jun’ichiro Tanizaki, auteur du célèbre Éloge de l’ombre, déploie le fil rouge de ce polar où, au fil des pages, narrateur comme lecteur ne cessent de se demander si la folie peut être contagieuse. 

L’intrigue commence ainsi : le narrateur, Takahashi, écrivain, reçoit un appel de son ami Sonomura qui le supplie de l’accompagner afin d’assister à un meurtre dont il connaît déjà tous les tenants et aboutissants. C’est alors qu’il se trouvait dans un cinéma, à proximité d’un jeune couple, qu’il réussit à intercepter leur message codé – rappelant le mécanisme à l’oeuvre dans Le Scarabée d’or d’Edgar Allan Poe. Une manigance sans équivoque quant à leur volonté de supprimer un troisième protagoniste.

 

Un polar aux thèmes encore tabous

Étrange requête, ne semblant pas étonner Takahashi, qui sait son ami grand fan de romans et de films policiers. Les voilà donc tous les deux partis sur les traces d’un meurtre à venir, galvanisés par un mélange de peur et d’excitation, bientôt voyeurs et témoins d’une mécanique destructrice parfaitement huilée. Mais comment être sûr de ce que voient les yeux ? 

Dans ce court polar, publié en 1918 au Japon, Jun’ichiro Tanizaki, qui ne signe alors que des nouvelles et ne s’est pas encore lancé dans l’écriture de romans (son premier titre Un amour insensé, sera publié en 1924), convoque des thèmes sociaux, psychologiques et sexuels encore tabou dans la société japonaise de la première partie du XXème siècle. Entre voyeurisme, illusions, énigmes, érotisme, le tout drapé dans la beauté d’une femme fatale terriblement vénéneuse, Dans l’oeil du démon se joue des certitudes des protagonistes comme des prédictions du lecteur. « J’avais vu tout cela de mes yeux, je ne pouvais le nier et pourtant, je n’arrivais pas à me débarrasser de l’impression que j’étais la dupe de quelque chose », confie Takahashi. La lecture des dernières lignes de ce polar ne fait que confirmer cette impression. 

 

Dans l’oeil du démon (1918), par Jun’ichiro Tanizaki, publié en 2019 aux éditions Picquier.

Editions Picquier