L’“Éloge de l’ombre”, texte incontournable sur l’esthétique japonaise
En s'intéressant aux détails de sa culture, décrits avec virtuosité, Jun'ichiro Tanizaki offre des clés pour comprendre notre modernité.
© Samuel Zeller
Publié pour la première fois en japonais en 1933, l’Éloge de l’ombre de Jun’ichiro Tanizaki témoigne de l’intemporalité de l’esthétique japonaise.
En allant jusqu’à considérer les toilettes comme un espace propre à la contemplation, à la méditation, « un lieu de repos spirituel », Jun’ichiro Tanizaki se délecte des détails du design. L’on peut s’interroger sur la façon dont l’auteur parvient à disserter lyriquement sur trois pages de l’enchantement provoqué par des toilettes japonaises, mais ce sont pourtant ses plus fins détails qui définissent cette esthétique — un certain degré de luminosité, une propreté absolue et la quiétude, la mousse, mouillée par la pluie, la caractère intime des gouttes de pluie tombant des feuilles des arbres.
Un exercice de pleine conscience
Parmi les autres descriptions à couper le souffle de l’essai, citons la patine fumée d’une coupe de saké en argent usée, le brillant de la laque reflétant la lueur vacillante des bougies, l’expérience méditative apportée par la dégustation d’un yokan présenté sur un plat en laque, alors que la noirceur même de la pièce fond sur la langue, ou encore un sushi enveloppé d’une feuille de kaki. Pour utiliser le langage de la contemporanéité, cette oeuvre se lit comme un exercice de pleine conscience.
En juxtaposant les modes de perspective et de création orientaux et occidentaux, Jun’ichiro Tanizaki développe une méthodologie mouvante qui permet un examen approfondi de la modernité et de la culture dans les deux domaines. Avec des réflexions personnelles sur les thèmes de l’architecture, du design, du mobilier, du jade, de la nourriture, du luminaire et de l’artisanat, le texte associe les principes clés de la tradition japonaise et la modernité mondiale environnante.
Traduit plus récemment sous le titre Louange de l’ombre aux éditions Picquier, le texte constitue une lecture essentielle pour quiconque s’intéresse à cette esthétique culturelle singulière, au caractère apaisant du design et du style de vie japonais. Si l’homogénéisation d’une culture mondialisée, intrinsèquement obsolète, provoque des levées de boucliers, lire Jun’ichiro Tanizaki permet d’apprécier la permanence, la durabilité et le monde naturel.
Eloge de l’ombre (2011), un texte de Jun’ichiro Tanizaki traduit par René Sieffert et édité par les éditions Verdier.
Louange de l’ombre (2017), un texte de Jun’ichiro Tanizaki traduit par Ryoko Sekiguchi et Patrick Honnoré et publié aux éditions Picquier.
© C MA
© Verdier
© Philippe Picquier
LES PLUS POPULAIRES
-
“Contes de pluie et de lune”, récits fantomatiques nippons
Ueda Akinari signe, avec ce recueil, une oeuvre considérée comme une des plus importantes de la fiction japonaise du XVIIIème siècle.
-
Stomu Yamashta, le plus grand percussionniste du monde
Le disque culte “Sunrise from West Sea” (1971) relate son incursion dans l'univers du free-jazz et du rock psychédélique japonais.
-
“Le sauvage et l’artifice”, schizophrénie japonaise
Dans son ouvrage, le géographe et orientaliste Augustin Berque souligne le rapport ambivalent qu’entretiennent les Japonais avec la nature.
-
“Buto”, la danse des ténèbres révolutionnaire
Né dans un contexte d’après-guerre rythmé par des mouvements contestataires, cet art subversif rejette les codes artistiques traditionnels.
-
La forêt qui a influencé “Princesse Mononoke” à Yakushima
Cette île montagneuse regorge de merveilles naturelles, de ses plages de sable étoilé à la forêt vierge qui a inspiré Hayao Miyazaki.