Chitose Abe, l’art du détournement
La styliste, derrière la marque Sacai, est désormais de toutes les collaborations avec les plus grands noms de la mode.
© Victor Demarchelier - Sacai
S’il fallait tenter de définir Chitose Abe en un mot, il pourrait être détournement. Et cela commence par celui de son patronyme. Chitose Abe est née Sakai. Alors, quand il a fallu trouver un nom à son label, lancé en 1999, il ne lui a fallu qu’une lettre pour détourner son nom de famille : Sakai est devenu Sacai. Et ces cinq lettres sont depuis quelques années sur toutes les lèvres du milieu de la mode, tant japonaise qu’internationale.
L’autre détournement intervient dans sa création. Chitose Abe détourne les vêtements de leur fonction ou de leur forme originelle. Les repères sont brouillés, rien n’est ce qu’il paraît être et pourtant cela fonctionne en un ensemble cohérent. La symétrie est chamboulée, les poches déplacées, les basiques sont déstructurés mais y est insufflé un souffle singulier : la pâte Abe, qui fait se pâmer les créateurs les plus en vue, de la maison Dior à Jean-Paul Gaultier lui-même, en passant par Nike.
APC, Lacoste, Petit Bateau ou Dior
« Je suis tombé sur une de ses créations, marinière sur le devant, guipure dans le dos. Je me suis tout de suite retrouvé dans ce modèle qu’elle avait su s’approprier. J’ai retenu son nom et découvert ensuite son travail sur les bombers, une autre de mes pièces fétiches. Mis à part le corset, nous avons énormément de points communs », dit d’ailleurs à son égard Jean-Paul Gaultier qui, après avoir quitté la haute couture en janvier 2020, a laissé la première nouvelle collection de sa griffe entre les mains de la styliste japonaise.
Et ce n’est pas le seul à faire confiance à l’œil aiguisé et aux mains alertes de Chitose Abe. La longue liste de ses collaborations parle pour elle : APC, Lacoste, Petit Bateau, Birkenstock, Vans, The North Face, Uggs, Dior ou encore Beats by Dre. La styliste est partout. « Chitose ne se contente pas d’apposer un logo sur un produit, mais se l’approprie, nous éduque à son histoire et le transforme avec une recette unique », explique au journal Le Monde Sarah Andelman, co-fondatrice du concept store parisien Colette, aujourd’hui consultante.
Une première collection de cinq pièces
Celle qui est née dans la préfecture rurale de Gifu découvre le stylisme par l’intermédiaire de sa mère, couturière de profession. Après des études de mode à Nagoya, elle entre à 26 ans comme modéliste chez COMME des GARÇONS. C’est après avoir accouché de son premier enfant qu’elle se lance dans la création. Ainsi naît le label Sacai avec, pour la première collection, cinq pièces de maille, entièrement tricotées à la main par la styliste. Les années passent et les matières évoluent, Sacai trouve son identité : une hybridation du vêtement avec des juxtapositions de textures, des mélanges de tissus, des enchevêtrements de couleurs et de motifs.
Ce mélange des genres se retrouve aussi dans ses points de vente où les matériaux sont combinés pour créer une ambiance qui porte l’univers du label : le bois côtoie l’acier, l’acrylique et le miroir. C’est d’ailleurs aux mains expertes de l’architecte Sou Fujimoto — connu pour faire se côtoyer les éléments contraires intérieur et extérieur, nouveau et ancien, nature et artefact — qu’elle a laissé le soin de créer son premier magasin japonais dans le quartier de Minami Aoyama à Tokyo.
Plus d’informations sur Chitose Abe et les dernières collections de Sacai sur le site internet de la marque.
LES PLUS POPULAIRES
-
“Contes de pluie et de lune”, récits fantomatiques nippons
Ueda Akinari signe, avec ce recueil, une oeuvre considérée comme une des plus importantes de la fiction japonaise du XVIIIème siècle.
-
Stomu Yamashta, le plus grand percussionniste du monde
Le disque culte “Sunrise from West Sea” (1971) relate son incursion dans l'univers du free-jazz et du rock psychédélique japonais.
-
“Le sauvage et l’artifice”, schizophrénie japonaise
Dans son ouvrage, le géographe et orientaliste Augustin Berque souligne le rapport ambivalent qu’entretiennent les Japonais avec la nature.
-
“Buto”, la danse des ténèbres révolutionnaire
Né dans un contexte d’après-guerre rythmé par des mouvements contestataires, cet art subversif rejette les codes artistiques traditionnels.
-
La forêt qui a influencé “Princesse Mononoke” à Yakushima
Cette île montagneuse regorge de merveilles naturelles, de ses plages de sable étoilé à la forêt vierge qui a inspiré Hayao Miyazaki.