Sapporo, aux racines de la cuisine japonaise

29.11.2020

TexteBenoit Piquet PhotographiesPascal Viout

Poissons et crustacés, fruits et légumes, produits laitiers, viande de mouton et de boeuf wagyu… la liste des aliments que l’île de Hokkaido exporte vers le reste de l’archipel est longue et elle dit toute l’importance de l’île dans l’art culinaire nippon. Il est un autre produit de l’île du nord qui essaime tout autant, c’est l’algue konbu, utilisée notamment pour préparer le bouillon dashi si important dans la cuisine japonaise. Voyage à Sapporo, au pays du konbu.

L'algue konbu occupe une place de choix dans la culture culinaire japonaise.

Demandez à des touristes français de passage dans l’archipel ou à des Parisiens attablés dans l’une des nombreuses échoppes japonaises de la rue Sainte-Anne ce qui fait pour eux la richesse de la cuisine nipponne, leur plat préféré, ils vous répondront « sushi » ou « poisson cru », plus rarement « tempura » ou « yakitori ». D’aucuns, plus pointus peut-être, tenteront un « soba », un « udon » ou un « ramen ». Demandez maintenant à des chefs étoilés, en particulier à ceux, nombreux, qui ont l’habitude des vols Paris-Tokyo : eux vous répondront d’un mot. Konbu, du nom de cette algue qui donne tout son goût au dashi, le bouillon si caractéristique de la gastronomie japonaise, son secret le plus précieux et le mieux gardé aussi. Soupe miso, ramen ou simples légumes mijotés, les plats qui empruntent leur saveur – les experts en art culinaire disent « umami » – à la précieuse algue sont nombreux et il n’est pas un chef japonais qui n’ait ses préférences bien à lui, ses algues de prédilection. Leur provenance ne fait que peu de doute : c’est en effet de Hokkaido que proviennent la quasi totalité – plus de 90% – des algues utilisées dans les meilleurs restaurants comme celles que l’on trouve dans les « depa-chika », les sous-sols des grands magasins où viennent s’approvisionner en plats préparés ou en ingrédients de qualité les consommateurs les plus exigeants. Idem pour la très grande majorité des supermarchés de l’archipel.

Pendant la démonstration de Kimura-san, les convives sont invités à goûter toutes sortes de préparations.

Le konbu, pour Maiko Kimura, est une histoire de famille. C’est en 2018 qu’elle a ouvert Nana Kura Konbu, élégante boutique logée dans la partie sud de Sapporo. On y trouve toutes sortes de variétés de konbu, vendues ici dans des sachets design, tels du café ou du thé vert. Surtout, l’endroit permet de se familiariser avec les secrets du condiment, un comptoir est prévu à cet effet. Assis là, on écoute Kimura-san distiller ses astuces de cuisine en même temps qu’elle présente les différentes variétés de l’algue. Il y a le konbu de Rishiri, le plus prisé, un classique de la cuisine de Kyoto ; celui de Hidaka, d’un brun noir à vert foncé, excellent en bouche ; ou encore le Ma-konbu, sans doute le plus populaire de tous parce que d’une qualité toujours égale. Tous ont leurs adeptes, un peu à la manière des cépages ou des variétés d’huile d’olive, qui à eux seuls peuvent donner à un vin tel ou tel arôme, à un plat telle ou telle saveur.

Avec Nana Kura Konbu, Maiko Kimura perpétue à sa manière l'histoire familiale.

Celui que préfère Kimura-san c’est celui de Hidaka, où elle a grandi. C’est là, sur la face orientale de l’île, que ses aïeux ont vécu du commerce du konbu. Aujourd’hui comme hier, la récolte du konbu se fait sur des bateaux spécialement aménagés ; un travail pénible et physiquement éprouvant. C’est au moment où son grand-père parlait de fermer le ban lorsque les forces viendraient à lui manquer qu’elle a eu l’idée d’ouvrir son magasin. Elle l’a nommé en l’honneur du fondateur du commerce familial, Shichizo, dont le nom se lit aussi “nanakura” et signifie “le septième magasin”. Un numéro attribué aux revendeurs sur le marché de Hidaka. Il faut voir comme Maiko Kimura parle de tout cela, faisant goûter l’un après l’autre les différents dashi, détaillant avec soin les vertus du konbu, pour comprendre combien est grande sa volonté de perpétuer la tradition, à sa manière.

Perpétuer cette culture du bouillon dashi et avec elle la tradition du konbu, c’est aussi ce que font à leur manière Jun Furukawa et Hiroshi Hiraoka. L’un et l’autre cuisinent des ramen, ces nouilles si populaires qu’on les retrouve immanquablement aux environs des gares d’un bout à l’autre de l’archipel: Qui dit Ramen dit Hokkaido : l’île est connue pour la qualité de ses nouilles et à ce titre Sapporo est en quelque sorte la capitale du genre. Jun Furukawa y tient MEN-EIJI HIRAGISHI BASE, une adresse bien connue des amateurs, située dans l’est de Sapporo. Le second, Hiraoka san a, lui, ouvert Japanese Ramen Noodle Lab Q dans le centre de la ville, à deux pas de la mairie de Sapporo. Pourrait-on imaginer profils plus différents ? Sans doute pas. Quand l’un est direct et spontané, fier comme un gosse au moment de nous montrer la machine qu’il utilise pour fabriquer ses nouilles maison – il l’a fait venir exprès de Kyushu, à l’autre bout du Japon – l’autre est plus posé, plus méthodique et concentré. Mais pas moins déterminé, sûr de lui et de la qualité de ses ramen, détaillant avec minutie, le chronomètre jamais loin, chaque étape de leur préparation, la précision des gestes, l’importance de chacun des ingrédients.

Jun Furukawa dans ses cuisines à MEN-EIJI HIGASHI BASE.

Les ramen « Tsuke-buto » sont l’une des spécialités de MEN-EIJI HIGASHI BASE.

Les ramen « Sapporo miso EIJI style » de MEN-EIJI HIGASHI BASE sont tellement savoureuses qu’elles justifieraient à elles seules le déplacement.

Leurs ramen sont à leur image : goûteux et consistants, le bouillon onctueux en diable à MEN-EIJI HIRAGISHI BASE, plus tendres et d’un gout plus subtil, plus sophistiqué à Japanese Ramen Noodle Lab Q. Idem pour le décor : à MEN-EIJI HIRAGISHI BASE ils sont servis dans un restaurant typique du genre, aux murs remplis des pancartes dédicacées laissées en témoignage par des clients célèbres, tandis qu’à Japanese Ramen Noodle Lab Q on les déguste dans une ambiance de bistrot tendance. S’il n’y avait les plats au gout si unique et travaillé de Hiraoka san, on aurait peine à croire que nous sommes bien là dans un restaurant de nouilles. Les ramen, nouvel eldorado de la cuisine japonaise « B-Kyu » (comprendre populaire) version gastronomique ? C’est en tout cas l’une des spécialités les plus appréciées de Hokkaido, l’île aux mille saveurs.

Hiroshi Hiraoka en action à Japanese Ramen Noodle Lab Q.

Les « shoyu-ramen » de Japanese Ramen Noodle Lab Q.

Avec son design élégant, l’intérieur de Japanese Ramen Noodle Lab Q n’a que peu à voir avec celui des restaurants de ramen traditionnels.