Le “salaryman” japonais, rampant à travers le monde
La performance d’un homme robot en “burnout” dans les rues et la critique d’un système par Momoyo Torimitsu ont frappé le monde artistique.
“Performance on Wall Street”, NY 1997, Momoyo Torimitsu
Miyata Jiro est le premier fait d’armes de Momoyo Torimitsu. Entre 1994 et 2001 son robot anthropomorphe et hyperréaliste — à l’image du salaryman qui envahit à l’époque les avenues de Tokyo — rampe à travers les rues des mégalopoles du monde. Déguisée en infirmière, l’artiste suit le robot et l’assiste alors qu’il agonise face à un public souvent médusé. À travers cette performance absurde, l’artiste dénonce une société faite de soldats dévoués à leur travail, dans laquelle le nombre de karoshi — AVC ou suicides de cadres en surmenage — explose.
Diplômée de la Tama Art University, l’artiste née en 1967 explique à Pen avoir, à cette époque, été « frappée par les œuvres de Hans Haacke, Anselm Kiefer, ou Magdalena Abakanowicz. » Elle commence alors à réfléchir à ce qui, dans son bagage culturel, avait influencé sa personnalité. « J’ai pensé à la rapide croissance économique du Japon alors que j’étais enfant. Les salariés étaient connus comme des bourreaux de travail : ils enchaînaient karaoke et bars à hôtesses permettant de s’aérer l’esprit mais aussi de poursuivre les réunions de travail. » Autre souvenir, les « bandes-dessinées pour adultes qu’ils lisaient, alors qu’ils faisaient des heures de trajet en train jusqu’au centre de Tokyo. »
Malgré la misogynie et les suicides, l’espoir existe
Miyata Jiro — un nom « banal » choisi plus ou moins au hasard— ne limitera pas ses déambulations aux rues de Tokyo. La performance sera mise en scène les années suivantes dans les rues de New York, Londres, Sydney, Paris et Rio de Janeiro, provoquant des réactions différentes. Si le public tokyoïte reste rationnel : « Pourquoi il rampe, pourquoi est-ce un robot ? », celui new-yorkais a cru y voir un événement publicitaire. À Londres « la plupart des hommes d’affaires portaient des costumes bleus foncés comme Miyata, ils étaient debout et nous regardaient, et ne disaient rien. Mais des étudiants, un Africain, une Turque m’ont parlé. Un grand journal a qualifié cette performance de “Creepy!” », poursuit l’artiste. À Sydney « quelqu’un a émis une opinion sur les robots prenant le relais des humains. Beaucoup d’entre eux m’ont interrogé sur le concept de la performance. Un homme très vieux était fou ! » À Paris les échanges ont été nombreux, tandis qu’à Rio de Janeiro « un jeune homme qui ne parlait ni anglais, ni japonais, a insisté pour m’aider dans ma performance, son grand-père était japonais (mon vidéaste s’occupait de traduire). C’était juste après le scandale du Président péruvien Fujimori, des gens dans la rue ont crié “Fujimori !!” »
Si l’artiste vit aujourd’hui à New York, lorsqu’elle est amenée à donner son ressenti quant à l’évolution de la situation, elle estime que plus de vingt ans après le lancement du projet, « c’est triste de savoir que le Japon est toujours une société dominée par les hommes, comme l’illustre le scandale de 2021 lié aux pensées misogynes du président du comité organisateur des JO de Tokyo, Yoshiro Mori. J’ai lu quelques articles sur le taux de suicide au Japon. S’il est plus haut chez les hommes d’âge moyen, cela a touché un nombre incroyable de femmes en 2020 en raison de la pandémie. Ce n’était pas comptabilisé comme des karoshi, pourtant c’est selon moi le cas pour nombre de ces actes. »
Mais l’espoir existe. « Je vois que sur Internet les nouvelles générations prennent conscience de ces questions », conclut Momoyo Torimitsu.
Les autres projets de l’artiste sont à découvrir sur son site internet.
“Performance in London”, 1999, Momoyo Torimitsu
“Performance in Paris”, 2000, Momoyo Torimitsu
“Performance in Rio de Janeiro”, 2001, Momoyo Torimitsu
“Performance on Wall Street”, NY 1997, Momoyo Torimitsu
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