Le Voyage dans la peau : un livre aux sources du tatouage japonais
©Nicolas Brulez - The Tattoorialist
Les formes dessinées à l’encre filent sur l’épiderme. Parfois saisies à la sortie d’une manche ou bien se substituant au vêtement tout de bon. Tantôt monochromes, tantôt colorées. Mais toujours renforçant l’aura de leur porteur, immortalisé par l’équipe de The Tattoorialist.
Nicolas Brulez, photographe, et Mylène Ebrard, auteure, parcourent le monde à la rencontre de tatoueurs et tatoués depuis 2012. “Le Voyage dans la peau” est leur quatrième livre, pour lequel ils se sont rendus dans le courant de l’année 2018 à New-York, Berlin, Londres, Paris et Tokyo. Ainsi qu’à Itoshima, dans la préfecture de Fukuoka au sud du Japon, où ils ont passé quatre jours auprès de Tsuyoshi Honda, l’un des derniers maîtres du tebori – tatouage à la main – dans le style de Kyushu. Probablement l’expérience la plus incroyable de leur périple.
« Il est venu nous chercher à la gare d’Itoshima dans un grand van noir, accompagné de deux yakuzas », se rappelle Ebrard. « On avait du mal à échanger et on ne communiquait que grâce à Google Traduction, ce qui donnait quelques contresens comiques ».
©Nicolas Brulez - The Tattoorialist
Découverte du tatouage japonais ancestral
Pendant leur séjour, le duo de The Tattoorialist est en immersion dans l’atelier de Honda qui, en bon hôte, leur fait même visiter la région. Ils observent et capturent le ballet de ses clients réguliers dont beaucoup de yakuzas, y compris des hauts-gradés, venus soumettre leur peau à l’aiguille du grand maître. Ce dernier perpétue des techniques ancestrales, malheureusement en perdition. A l’aide d’un bâtonnet de suie et d’une aiguille, tenus comme un stylo, il trace ses figures à l’encre, assis en tailleur à même le sol, pendant parfois près de douze heures.
Car Honda ne fait pas dans les petites pièces. S’il commence une zone, il fait le corps entier. Un travail étalé sur des années à l’allure de rite initiatique.
« Ce qui m’a le plus impressionné, c’est la notion de valeur », confie Brulez. « Être tatoué au tebori au Japon, c’est plus que repartir avec un dessin sur la peau. On entre dans la culture, dans les valeurs du clan. Il faut se montrer courageux et viril, ne pas montrer que ça pique ».
Brulez sait de quoi il parle. Au fil des jours passés près de Honda, une amitié s’est créée entre les deux Français et le tatoueur. Un lien que Honda a souhaité honorer en rattrapant un ancien dessin de cerisier sur le bras du photographe.
©Nicolas Brulez - The Tattoorialist
©Nicolas Brulez - The Tattoorialist
Un art autrefois populaire désormais marginal
Les motifs des tatouages japonais reprennent souvent des figures mythologiques ou historiques du pays. L’art du tatouage (irezumi ou horimono) existe d’ailleurs au Japon depuis l’ère Jomon (10 000 avant J.C.) et a successivement été adopté par la noblesse, le peuple et les criminels. Ainsi que par l’Etat japonais lui-même, qui marquait ses prisonniers et fut l’un des derniers au monde à abolir cette pratique, comme le rappellent Brulez et Ebrard dans leur livre.
C’est donc en grande partie grâce aux yakuzas que les techniques traditionnelles du tatouage japonais ont pu être préservées. Sans compter de nombreux mythes qui seraient autrement tombés dans l’oubli. Mais l’association entre criminalité et peau marquée à l’encre perdure, et les tatoués sont toujours stigmatisés au Japon. On leur interdit par exemple l’entrée aux bains publics, de peur qu’ils n’y créent des remous. Être tatoué au Japon c’est donc être partagé entre la fierté de porter à même sa peau l’Histoire et la culture de son pays et la honte d’être assimilé à un criminel.
C’est pour cela que les porteurs de tatouages choisissent souvent de les cacher et qu’il faut avoir du courage pour les arborer, ou même pour avoir un atelier avec pignon sur rue dans une grande ville. C’est le cas d’Akatsuki, tatoueuse à Tokyo, dont le salon, le Red Bunny, ne se cache pas au deuxième étage d’un immeuble de Kichijoji.
Pour Nicolas Brulez, qui est portraitiste, il était important que les tatoués figurant dans son livre apparaissent à visage découvert. Quand ils ont appris que la publication de l’album se ferait à l’international et non en japonais, nombre de ses modèles, y compris les yakuzas, ont accepté de s’y montrer.
Mais l’équipe de The Tattoorialist voit plus loin. Ils aimeraient consacrer un ouvrage entier à l’Histoire du tatouage de yakuzas, avec la collaboration de maître Honda. Et rêvent de le publier aussi en japonais dans l’archipel, pour qu’enfin le tatouage y regagne la place qui lui est due au sein des arts traditionnels.
©Nicolas Brulez - The Tattoorialist
©Nicolas Brulez - The Tattoorialist
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