Les déambulations du photographe Maki dans l’archipel
Le livre “Japan Somewhere” retrace 15 années de balades japonaises, d’immortalisation de ce qui interpelle, attire, dérange ou séduit.
“Schoolgirls - Nishiki Market - Kyoto” (2003)
Entre 2002 et 2017, le photographe Maki a arpenté les rues de différents quartiers de Tokyo et d’autres villes japonaises, sans plan de travail prédéfini. Ces pérégrinations sont réunies dans l’ouvrage Japan Somewhere, publié en 2018 par la Zen Foto Gallery.
Né en 1964 à Marseille, Maki fut en 2007 l’un des membres fondateurs du collectif de photographes européens “Smoke” avec, entre autres, Roger Guaus (Espagne), Laëtitia Donval (France) et Jukka Onnela (Finlande), avant de créer en 2010 Media Immédiat Éditions, une collection de 11 livres photos, qui réunit le travail de Koji Onaka, Morten Andersen, Ed Templeton ou Daisuke Ichiba. Maki a vu son intérêt pour l’archipel naître lors d’un premier voyage à Kobe en 2001, à l’occasion d’un échange culturel réalisé dans le cadre d’un partenariat de jumelage entre Marseille et Kobe. « Lors de mon premier voyage je suis littéralement tombé amoureux de ce pays et de ma future femme Masami. J’ai donc commencé à les photographier tous les deux — elle sera d’ailleurs un jour le sujet d’un de mes livres », explique Maki à Pen.
Masahisa Fukase, Nagisa Yoko, Shyojo…
« Les premières années je pouvais passer jusqu’à 10 heures non-stop à marcher dans les rues : les marchés, le métro, partout dans une ville comme Tokyo, en photographiant ce que je vis et ce qui m’interpelle, m’attire, me dérange ou me séduit, le plus souvent sans prévoir ce que je vais faire… », poursuit l’artiste.
Parmi les 96 images associées dans Japan Somewhere Maki en présente trois à Pen, pour une première plongée dans son œuvre. D’abord, Escaliers du Bar Nami / Tokyo / Shinjuku / Kabukichō / Golden Gai (2017), qui se veut « une sorte de clin d’œil en hommage au photographe Masahisa Fukase. Le bar Nami se trouve dans Golden Gai, un petit secteur très ancien et préservé du quartier de Kabukicho, dans l’arrondissement de Shinjuku, à Tokyo. C’est là où se concentrent environ 200 bars de nuit agglutinés les uns sur les autres. Souvent à thème, la plupart ont un petit escalier menant à l’étage. De tous temps, artistes et célébrités y ont afflué et Nami était le bar favori de Masahisa Fukase. La photo représente les escaliers menant au bar. C’est sur ces mêmes escaliers que Fukase a glissé en 1992. La chute le plongea malheureusement dans un long coma qui dura 20 ans, avant de décéder en 2012… »
Une autre, Nagisa Yoko / Bar Nagisa / Tokyo / Shinjuku / Kabukichō / Golden Gai (2016) rend hommage à « Nagisa, une chanteuse de kayokyoku (musique pop devenue une base moderne de la J-pop) connue comme une figure mystérieuse et éclectique de la communauté artistique japonaise. Elle était également la compagne du photographe Daido Moriyama qui lui a consacré son superbe livre photo Nagisa (Akio Nagasawa Publishing). Yoko Nagisa travaillait la nuit dans son bar à Golden Gai, et c’est là que je l’ai connue et photographiée pour la première fois en 2016. En 2018, lors de la sortie de mon livre Japan Somewhere elle était venue me voir pour mon exposition à la Niepce Gallery de Tokyo, et je me suis rendu par la suite encore quelques fois dans son bar où je l’ai à nouveau photographiée cet été-là. C’était trois mois avant qu’elle ne décède en septembre 2018 d’une insuffisance cardiaque. Nagisa était un personnage attachant et charismatique qui aimait l’Art et la Nuit. Je ne l’oublierai jamais.»
La photographie Fille Vierge / Yokosuka (2011) est née d’une scène vécue : « lorsque j’ai aperçu et photographié cette jeune fille sur le quai du métro, puis vu les personnes aux alentours interloquées et choquées en la voyant. Masami, mon épouse, qui était présente m’a tout de suite expliqué ce que voulaient dire les kanji qui étaient tracés à la main partout sur ces vêtements, casquette et sac… C’était le mot « shyojo » qui veut dire « vierge » en japonais. Pour ceux qui connaissent un peu la culture japonaise, il sera facile de comprendre à quel point écrire ce mot, le revendiquer, peut être choquant pour tout Japonais qui tomberait nez à nez dans la rue ou ailleurs avec cette jeune personne allant faire ses courses… Ma théorie personnelle est que, connaissant la difficulté à exister dans une société japonaise qui exclut beaucoup de gens, il serait probable que cette personne ait vécu quelques traumatismes qui lui ont peut-être fait perdre pied, qui se manifestent de cette manière et qu’elle veut nous faire partager à sa façon avec cet indice : Vierge… »
La particularité de Maki est sa capacité à avoir, au fil de ses balades, de ses observations, à travers la vie partagée avec sa femme, assimilé nombre de codes de sa société d’adoption, lui permettant d’avoir aujourd’hui une vision davantage japonaise qu’occidentale.
Le précédent livre de Maki, Gûyu – Allegory (2016), édité par Timeshow Press, est une « une carte psychologique des villes japonaises », dans laquelle l’artiste « côtoie la jeunesse et la tradition, le postmodernisme sévère et l’oisiveté la plus totale. »
Japan Somewhere (2018), un livre de photographies de Maki, publié par la Zen Foto Gallery, notamment disponible via Shashasha.
© Maki
“Nami Bar stairs - Tokyo - Kabukicho - Golden Gai” (2017)
“Golden Gai - Nagisa” (2016)
“Shyojo - Yokosuka” (2011)
“Yuki - Tokyo - Asakusa” (2017)
“Masami” (2011)
“Market - Kyoto” (2003)
"Liberty in Tokyo - Daiba" (2008)
"Mount fuji - Kawaguchiko" (2008)
"No-way - Tokyo - Shinjuku" (2008)
"Self portrait - Shinjuku" (2013)
"Skytree Tower view" (2015)
"Tree - Tokyo - Mitaka" (2005)
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