L’oeuvre sacrée de Hiroshi Senju

19.03.2020

WordsYukiko Takase PhotographyYoshichika Murakami

Célèbre pour abriter de nombreux temples bouddhistes, le mont Koya, lieu sacré du bouddhisme shingon, a commémoré son 1 200e anniversaire en 2015. À cette occasion, le peintre Hiroshi Senju a reçu commande d’une œuvre comme aucune autre, un fusuma-e aux dimensions monumentales.

De la végétation agrippée à la falaise. Des torrents qui tombent en cascade et éclaboussent. Une nature sévère mais d’une beauté à couper le souffle, écrasante de puissance. C’est ce que l’on trouve dans deux séries, intitulées « Parois » et « Cascades ». Représentant un total de quarante-quatre panneaux de bois pour cloison (fusuma) ou alcôve (tokonoma) elles dépassent respectivement 16 et 36 mètres, une ampleur inouïe pour le genre. L’auteur de cette œuvre monumentale est un peintre de nihon-ga – peinture de style japonais – de renommée mondiale, Hiroshi Senju. Les deux créations sont consacrées au temple Kongobu-ji, l’un des lieux les plus célèbres du mont Koya.

Le mont Koya, dans le nord de la préfecture de Wakayama, est le fief de l’un des plus fameux ensembles de temples bouddhistes du Japon. Il est aussi connu pour être le cœur du bouddhisme shingon, fondé à l’époque de Heian par Kukai, l’une des grandes figures de l’histoire du bouddhisme japonais. À l’époque, la doctrine courante enseignait que l’état de Bouddha ne pouvait être atteint que par la réincarnation. Kukai, lui, affirme que « chacun peut atteindre le royaume de l’illumination, dans ce monde-ci, comme le Bouddha, et connaître l’éveil (satori) dans son cœur sans cesser d’être lui-même ». Un changement total de paradigme. L’enseignement se répandit, et la croyance selon laquelle Kukai vit encore de nos jours au Oku-no-in, un pavillon logé au plus profond du mont Koya, où il continue à prier pour la paix du monde et la félicité des humains, reste vivace.

Une galerie d’un pavillon retiré, bordée de tombes.

En 2015, le mont Koya commémorait le 1 200e anniversaire de sa fondation. Si les 117 temples du mont Koya forment une véritable cité religieuse, le cœur du complexe est occupé par le Kongobu-ji. Les fusuma-e de Hiroshi Senju sont disposés dans la salle de thé (cha no ma) et la salle de l’âtre (irori no ma) du pavillon principal du temple. La commande passée à Senju définissait ainsi le thème à représenter symboliquement : l’avenir du mont Koya. Après trois ans de travail, Hiroshi Senju a mis la touche finale à son œuvre en 2018.

« Au début, j’ai procédé par simples tâtonnements. Mes quarante ans d’expérience comme peintre ne pouvaient pas me servir. C’était plutôt comme un nouveau départ. » Pour créer une œuvre à la fois originale et juste, Senju s’est attaché à marcher sur les chemins que Kukai avait empruntés, à observer les paysages que Kukai avait contemplés, à lire les livres que Kukai avait écrits, bref, à entrer aussi pleinement que possible dans les pas de l’homme Kukai. Or, en se rendant au cap Muroto, dans l’actuelle préfecture de Kochi, la même où Kukai a eu son satori, il a été frappé par l’ordinaire des lieux, bien loin des paysages grandioses qu’il s’était imaginés.

« Paradoxalement, c’est cela qui m’a le plus impressionné, que Kukai soit capable de parvenir à l’éveil dans le lieu le plus banal. L’originalité n’est rien, ce qu’il faut, c’est rejeter son moi, et avancer en voulant devenir soi-même peinture. À cette condition, l’œuvre devient possible. »

La pagode Konpon-daito symbolise l’enseignement de l’école bouddhiste Shingon du mont Koya.

Senju s’est alors senti destinataire d’un message capital, et cohérent avec l’enseignement de Kukai. Dans la série Parois, les falaises rocheuses ont été réalisées à partir de papier japonais froissé imbibé de pigments. Pour la série Cascades, l’expression de la chute d’eau a été réalisée en versant de l’eau sur les panneaux placés verticalement, puis en y ajoutant de la poudre blanche et en laissant librement les pigments suivre le cours de l’eau.

« Le mont Koya accueille des personnes porteuses de toutes sortes de questionnements. J’ai voulu que ma peinture soit proche de ces personnes, pour cela je me suis immergé dans mon travail sans laisser mon ego intervenir. »

L’évidence de l’approche de Senju, on la trouve également dans le choix des matériaux. Ceux utilisés sont tous naturels, c’est-à-dire le fruit du climat et du milieu japonais : le papier japonais est fabriqué à partir de fibres végétales comme le kozo et le mitsumata, la peinture minérale est fabriquée à partir de blocs minéraux, le pigment blanc est en fait du gofun, fait de coquillages broyés.

« Je voulais faire ressortir de la matière quelque chose qui se rapproche de la mémoire de la vie », raconte Senju. Il n’est pas impossible que Senju se soit éveillé là à l’enseignement du bouddhisme qui dit que tous les êtres possèdent une nature de Bouddha.

Le Banryutei du Kongobu-ji, plus grand jardin de pierres du Japon.

Les panneaux de bois qui couvrent la totalité des murs respectent l’équilibre global de l’espace. Bien que monochromes l’une et l’autre, les deux œuvres ne déclinent pas la même nuance de couleur. Pour la série Parois, exposée dans la salle de thé aux poutres de structure de laque noire, Senju a utilisé un pigment minéral bleu calciné jusqu’à se rapprocher du noir. Pour la série Cascades, dans la salle de l’âtre, il a arrêté la calcination du pigment bleu un tout petit peu plus tôt, sur un « bleu-gris », afin que la couleur s’harmonise avec le « rouge vineux » des piliers de la salle.

À l’automne 2020, quand les peintures seront officiellement consacrées au Kongobu-ji après avoir voyagé dans toutes les régions du Japon, elles seront accessibles au public: Elles pourront alors, enfin, se livrer dans la lumière unique de ce le lieu sacré de la sérénité.

Paroi (détail) 2018, pigments naturels, platine et gofun sur papier japonais de mûrier, 182,7 x 1676,6 cm, Kongobu-ji, Mont Koya.

Cascade (détail) 2018, pigments naturels et gofun sur papier japonais de mûrier, 185,5 x 3670,6 cm, temple Kongobu-ji, Mont Koya.

Hiroshi Senju

Né à Tokyo en 1958, Hiroshi Senju est un peintre dans le style Nihon-ga diplômé de l’Université des Arts de Tokyo en 1987. En 1995, il est le premier artiste asiatique à obtenir le Prix d’Honneur de la Biennale de Venise. En 2017, ses œuvres intègrent l’exposition permanente du Musée d’Art du Comté de Los Angeles, ainsi que l’exposition permanente du Metropolitan Museum. Hiroshi Senju a reçu le prix Isamu Noguchi et de nombreuses autres distinctions. Il est actuellement professeur à l’Université d’Art et de Design de Kyoto.

Accès

Depuis la gare Nankai-Namba d’Osaka, prendre le train de la ligne Nankai-Koya jusqu’au terminus Gokurakubashi. De là, prendre le téléphérique jusqu’au sommet du Koya-san. Depuis l’aéroport international de Kansai, prendre le train Nankai Rapi:t jusqu’à la gare de Tengachaya, puis le téléphérique.

www.howto-osaka.com