Mika Ninagawa, expressionniste de la couleur

La photographe est célébrée pour l’intensité des couleurs et la dimension psychédélique des univers qu'elle capture.

04.01.2022

TexteHenri Robert

Mika Ninagawa, “Liquid Dreams” (2003)

En 1997, l’œuvre de la photographe et réalisatrice Mika Ninagawa était présentée pour la première fois hors du Japon. C’était chez Colette à Paris. Un symbole qui lui va bien, car son oeuvre protéiforme possède une identité aussi forte que celle du concept store parisien.

Née en 1972 à Tokyo dans un environnement créatif, d’une mère actrice et d’un père metteur en scène de théâtre — le célèbre Yukio Ninagawa — l’artiste est au cœur du mouvement onnanoko shashinka ou « girlie photography » des années 1990, et capture alors l’art de vivre des jeunes femmes japonaises.

En 2001, elle se voit récompensée du prestigieux Ihei Kimura award. Au-delà de son travail photographique, désormais reconnu par les plus importantes institutions internationales, et de ses collaborations avec l’univers du luxe — notamment avec Van Cleef & Arpels — Mika Ninagawa est également une figure importante du cinéma. En 2020, elle réalisait la série Followers sortie sur Netflix.

 

Focus sensible

Peu importe les sujets abordés dans ses photographies, Mika Ninagawa impose son genre, son style, une signature. Qu’il s’agisse d’autoportraits, de portraits de célébrités telles que Chiaki Kuriyama ou Beyoncé, l’artiste est maître de la mise en scène, des codes, commerciaux ou culturels, contemporains ou traditionnels, maniés. Les couleurs sont intenses, et guident l’attention sur un point précis, sur un moment construit ou simplement capturé. Au-delà de ses portraits, ses photographies capturent la beauté d’un environnement, d’une fleur, d’un sakura, d’un animal, d’un feu d’artifice ou d’un cadre urbain. Les couleurs sont éblouissantes, l’instant précis, l’onirisme total.

Dans la série Light Of, le regard est porté au ciel, illuminé par des feux d’artifice. L’artiste saisit un événement, une explosion synonyme de bonheur. Dans d’autres séries, elle réalise des gros plans sur des fleurs et leurs pétales — dont certaines artificielles —, tandis que Liquid Dreams plonge l’attention sur des poissons rouges et leur environnement aux couleurs éclatantes.

Mika Ninagawa manie l’imaginaire propre à l’univers pop — notamment symbolisé au Japon par Takashi Murakami et ses fleurs —, et pourrait sembler évoluer dans le même genre. Il serait pourtant réducteur de lui coller cette étiquette. Ses photographies ne visent pas uniquement à jeter de la couleur, de la lumière, elles sont plus fines. Son regard perturbe les frontières entre le sujet et l’auteur de la prise de vue ; sa démarche est sincère, mais le geste n’est pas réalisé en pleine conscience.

 

Une photographe absorbée par ses sujets

La série Plant a Tree, produite sur les bords de la rivière Meguro dans les instants suivant la rupture avec son mari (comme elle le confie à Tokyo Weekender) se veut par exemple davantage nostalgique et permet de saisir plus clairement les sentiments personnels qui jaillissent de son travail, derrière la dimension éblouissante qui le caractérise.

Comme l’artiste l’explique dans un entretien avec l’expert Yuka Yamaji pour la maison de ventes Phillips, « lorsque je prends la photographie, j’ai parfois l’impression d’être de plus en plus absorbée par le paysage que je vois à travers le viseur. Par exemple, si je photographie des fleurs de cerisier, c’est comme si j’étais à l’intérieur de la fleur de cerisier ou que j’étais devenu la fleur, en étant à la frontière entre ces deux mondes. »

L’œuvre de Mika Ninagawa est multidimensionnelle, plus profonde que ce que le premier regard saisira. Ses mises en scène soignées, ses couleurs, naissent d’un processus mental définitivement personnel, d’une intuition.

 

Le travail de l’artiste est à découvrir sur son site internet, ainsi que sur celui de sa galerie, Tomio Koyama.

Mika Ninagawa, “Sakura” (2011)

Mika Ninagawa, “Light of” (2015)

Mika Ninagawa, “earthly flowers, heavenly colors” (2017)

Mika Ninagawa, “Plant a tree #17” (2011)