Sakiko Nomura, illustrer l’amour en temps de guerre

La série “Ango” de la photographe japonaise est mise face à la poignante nouvelle publiée en 1946 par Ango Sakaguchi.

05.07.2021

TexteHenri Robert

© Sakiko Nomura

La photographie, pour illustrer l’histoire et rendre hommage à un récit. Censurée pendant un demi-siècle au Japon, la nouvelle Une femme et la guerre (1946) d’Ango Sakaguchi est éclairée par le travail de la photographe Sakiko Nomura dans le livre-photo Ango (2017). Ce projet est né dans le cadre d’une série portée par l’éditeur et designer Satoshi Machiguchi, dans laquelle il invite des photographes japonais à s’engager dans des œuvres de la littérature japonaise. Ango est le quatrième volet d’une série dont les trois premiers ouvrages ont été réalisés en collaboration avec Daido Moriyama.

Née en 1967, Sakiko Nomura commence sa carrière en tant que collaboratrice de Nobuyoshi Araki. Elle travaille principalement en noir et blanc, autour des thématiques de l’intimité, qu’elle soit sentimentale, psychologique ou sexuelle comme dans la série sex/snow, publiée en 2014.

 

L’intimité, refuge face au désespoir ambiant

À sa sortie en 1946, Une femme et la guerre est censurée par les Américains et leur GHQ (General Headquarters). La nouvelle est en effet considérée comme un forme de propagande, faisant la promotion de l’amour pendant la guerre ; sa version originale ne sera autorisée qu’en 2000. L’ouvrage aborde un sujet sensible, les relations amoureuses comme échappatoire au chaos créé par la guerre. Dans Une femme et la guerre, l’auteur dépeint la relation d’une ancienne prostituée et d’un homme pendant la Seconde Guerre mondiale, alors que l’issue du conflit semble déjà écrite pour les protagonistes. La relation décrite par l’auteur ne semble pas être motivée par un sentiment amoureux, mais être davantage un refuge face au désespoir ambiant.

Pour réaliser cette série, Sakiko Nomura a travaillé de longs mois sur les archives, afin de donner vie aux mots de l’auteur, avec des photographies touchantes, emplies d’érotisme et de chagrin. La photographe explique dans le cadre de la parution de l’ouvrage : « Il y a l’écrivain Ango Sakaguchi, et il y a moi. J’espère que les lecteurs pourront, par la sélection des photographies qui veulent donner une autre dimension à l’œuvre, ressentir encore un tout nouvel univers. » Le livre traite de la décadence, du désespoir de l’humanité face au conflit mondial. Une prostituée partage avec son amant l’exaltation érotique que procurent feu et destruction au beau milieu des ruines et des corps calcinés. Ce n’est pas l’amour qui les rapproche mais bien le chaos ambiant. Au milieu des bombardements nocturnes, la femme oscille entre un désir intense de vie et la peur de mourir dans un Japon finissant.

Les photographies, dont les grains sont marqués, présentent l’univers intime du couple, entre scènes intimes, sensuelles, ou du quotidien, banales et sensibles, dans un intérieur dont la chaleur contraste avec la froideur et la violence de l’environnement extérieur.

En 2012, l’œuvre d’Ango Sakaguchi avait également été réinterprétée dans un manga par Yoko Kondo, publié par les éditions Picquier.

 

Ango (2017), un livre de photographies par Sakiko Nomura, publié par bookshop M.

© Sakiko Nomura

© Sakiko Nomura

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