Shinryo Saeki, le cycle de la vie
Ce moine et artiste transpose sa philosophie bouddhiste dans une série de photographies qui questionne notre rapport à la mort.
“Aisatsu”, Shinryo Saeki, 2009 ©︎ Shinryo Saeki
Voir la mort comme faisant partie intégrante de la vie. C’est tout l’objet de la série Aisatsu du photographe Shinryo Saeki. La cérémonie, le deuil, le quotidien qui reprend ses marques, sont autant de rites et d’émotions par lesquels passe l’humain quand il doit faire face à la perte d’un être cher.
Pendant dix années, de ses 19 à 28 ans, l’artiste capture des moments personnels, des interactions qui surviennent entre la venue au monde et le décès. Né à Hiroshima et diplômé du département de photographie de l’Université des Arts d’Osaka, Shinryo Saeki est artiste, mais aussi moine. Une particularité qui fait de son œuvre un vecteur de sa spiritualité : « Je peux dire que j’interprète le concept du bouddhisme à ma façon et que je le confie à mes photographies », nous explique-t-il.
La fête en rouge et blanc
En couleur se déploient des scènes du quotidien et de voyages de l’artiste, parsemées de cérémonies qui marquent le tempo d’une vie : le mariage de sa sœur, l’enterrement du grand-père de sa femme, les funérailles de son arrière-grand-mère, son père creusant la tombe de son arrière-grand-mère, le service commémoratif dans un temple bouddhique… Riches de contrastes, entre nuances vives et zones d’ombres, ces clichés sont pris avec une certaine gaité, voire légèreté, malgré les thèmes sombres parfois abordés.
Proche des sujets, Shinryo Saeki nous fait pénétrer dans l’intimité de ses modèles, et nous donne un angle qui casse avec la solennité du moment. Le rouge et le blanc reviennent par touches et ensemble représentent la vie et la mort. « La combinaison du rouge et du blanc est appelée kohaku et est utilisée pour les célébrations au Japon. La mort est également considérée comme une source de célébration. »
Traduit en français par “salutations”, le terme aisatsu est l’acte de se saluer naturellement tous les jours. En donnant ce titre à sa série, Shinryo Saeki cherche ainsi à montrer la mort comme faisant partie intégrante de la vie au quotidien, au même titre que nos saluts. C’est une reconnaissance et une acceptation de celle-ci. Elle est le prolongement de notre existence. « Je pense qu’en étant conscients des décès qui se produisent autour de nous, nous pouvons sentir plus fortement que nous sommes en vie maintenant. J’ai aussi réalisé à ce moment-là que c’est la photographie qui nous permet de mettre sur la même ligne des choses qui se passent à distance et dans le temps », nous explique-t-il. Dans la terminologie bouddhiste zen, l’aisatsu est également une forme de salutation qui invite les pratiquants à s’interroger mutuellement sur leur compréhension du monde, un questionnement en réaction et avec l’autre.
L’universalité du deuil
Bien que cette série, comme les rites auxquels elle renvoie, nous plonge dans un univers de sens différents de ceux de l’Occident, elle touche la part sensible commune à l’homme et questionne la philosophie de l’être. « Les gens et les choses mourront un jour. Mais la vie continue. Je veux capturer quelque chose d’universel dans mes photographies. Je pense que la vision de la vie et de la mort varie d’une culture à l’autre, mais je pense que ce qui est universel pour les gens n’est pas si différent. Je veux que les gens qui ne connaissent pas la culture japonaise la ressentent à travers mes photos. » C’est pour contrer ce rejet de la mort, considérée au Japon comme une abomination, quelque chose qu’il est nécessaire de cacher, que Shinryo Saeki cherche à la dévoiler et contrecarrer cette attitude superficielle.
Entre deux visuels d’enterrements ou de mariages, des festins. Ces scènes de repas gargantuesques font aussi partie du lot des cérémonies, mais surtout servent de métonymie pour exprimer notre besoin premier de manger. Un essentiel que Shinryo Saeki recontextualise : « Même si vous êtes triste, tout le monde finit par manger. Nous avons besoin de temps pour enterrer notre profonde tristesse, mais pour avoir ce temps, nous devons manger quelque chose. Je pense que l’humour est tout aussi nécessaire que le fait de manger pour vivre ».
L’humour qu’il distille tout au long de sa série pour continuer de servir son propos et libérer la mort d’une partie de son tragique. Transposer la spiritualité dans ses photographies, comme il le fait par la suite avec sa série Riverside, où la vie quotidienne laisse place aux moments suspendus, intangibles, et au mystère.
Aisatsu (2009), une série photographique par Shinryo Saeki à retrouver sur le site internet de l’artiste.
“Aisatsu”, Shinryo Saeki, 2009 ©︎ Shinryo Saeki
“Aisatsu”, Shinryo Saeki, 2009 ©︎ Shinryo Saeki
“Aisatsu”, Shinryo Saeki, 2009 ©︎ Shinryo Saeki
“Aisatsu”, Shinryo Saeki, 2009 ©︎ Shinryo Saeki
“Aisatsu”, Shinryo Saeki, 2009 ©︎ Shinryo Saeki
“Aisatsu”, Shinryo Saeki, 2009 ©︎ Shinryo Saeki
“Aisatsu”, Shinryo Saeki, 2009 ©︎ Shinryo Saeki
“Aisatsu”, Shinryo Saeki, 2009 ©︎ Shinryo Saeki
“Aisatsu”, Shinryo Saeki, 2009 ©︎ Shinryo Saeki
“Aisatsu”, Shinryo Saeki, 2009 ©︎ Shinryo Saeki
“Aisatsu”, Shinryo Saeki, 2009 ©︎ Shinryo Saeki
“Aisatsu”, Shinryo Saeki, 2009 ©︎ Shinryo Saeki
“Aisatsu”, Shinryo Saeki, 2009 ©︎ Shinryo Saeki
“Aisatsu”, Shinryo Saeki, 2009 ©︎ Shinryo Saeki
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