Susumu Shingu, ôde à la nature
Sculpteur, ingénieur mécanique ou architecte d’un village utopique, l'artiste signe une oeuvre protéiforme articulée autour de la nature.
Musée du vent, Susumu Shingu (Sanda, Japon) 2014 © Jeanne Bucher Jaeger
Il y a quelque chose qui confine presque à la méditation dans les oeuvres de l’artiste japonais Susumu Shingu. Lorsque l’on observe ses installations, dont certains pans prennent vie grâce à la force du vent dans un mouvement perpétuel mais savamment orchestré par son créateur, le temps semble se suspendre. Le spectateur est alors plongé dans une sorte de bulle où seuls la nature et le mouvement importent.
« Mes oeuvres sont des moyens de traduire en mouvements perceptibles au regard les messages de la nature », confie Susumu Shingu dans une interview à Pen. « Ce que j’essaie de montrer, c’est la beauté de notre planète et la chance que nous avons d’y naître en tant qu’être humain. Pour moi, il n’y a pas de frontière entre l’art, la mécanique, la science et la fabrication de livres d’images et la pratique artistique. »
Les éléments naturels comme matériaux
Le terrain de jeu de l’artiste ? L’extérieur. Il investit les parcs et jardins, les abords de rivières ou d’étangs pour y installer ses sculptures, des mobiles conçus à partir de matériaux high-tech et concentrés de technologie dont Susumu Shingu règle les mouvements au détail près. Au-delà des matières employées pour construire ses sculptures animées, le créateur tente de dompter les forces naturelles que sont l’eau, le vent, les courants, les énergies et la gravité, comme pour leur insuffler une force vitale capable de les rendre mobiles.
« Ce n’est pas seulement beau, c’est scientifiquement ajusté », détaille Bernard Vasseur, directeur du Centre de recherche et de création Elsa Triolet – Louis Aragon et auteur de Shingu, un livre présentant les travaux du Japonais, dont il est désormais proche. Alors que l’on pourrait s’étonner de l’emploi de matières non-naturelles par l’artiste pour composer ses sculptures, il balaie ce questionnement. « Il faut que ce soit solide. Susumu Shingu ne fait pas du land art, il ne prend pas des éléments du paysage pour en faire ses oeuvres. Son travail est exposé à l’extérieur, au vent. Et au Japon, le vent ça peut être des typhons. »
En plus d’être exposé aux quatre vents, le travail de Susumu Shingu voyage à travers le monde, à l’instar de Wind Caravan, une installation de mobiles qui a transité du Japon à la Nouvelle-Zélande, en passant par la Finlande ou encore la Mongolie. Une bonne manière d’éprouver les structures mais aussi la réception de son oeuvre auprès de cultures diverses. Parmi ces escales, le château de Chambord où l’artiste a été exposé en 2019-2020.
Une filiation italienne
Cette étape à Chambord revêt une importance toute particulière pour l’artiste. Son exposition, Susumu Shingu, une utopie d’aujourd’hui, intervient quelques mois après celle intitulée Chambord, 1519-2019, une utopie à l’oeuvre, où le travail, entre autres, de Léonard de Vinci était présenté au public. « 2019 est le 500e anniversaire de la mort de Léonard de Vinci. C’est un peu comme si Léonard m’avait appelé pour faire l’exposition », raconte Susumu Shingu. Car avec Léonard de Vinci, comme avec la nature, les liens tissés par l’artiste sont étroits.
« Quand je regarde en arrière, Leonardo est toujours apparu dans ma vie au parfait moment. La première fois, c’était en 1956 lorsque je suis entré à l’Université des beaux-arts de Tokyo. Mon instinct m’a dit que ce n’était qu’un point de passage, même si c’était une bonne chance pour moi d’intégrer cette école. Je pense avoir entendu la voix de Leonardo m’appeler à ce moment-là », poursuit-il.
Le jeune Susumu poursuit son cycle universitaire avant de s’envoler à Rome grâce à une bourse d’étude du gouvernement italien. Un moment charnière dans la création de son identité artistique. Il quitte alors la peinture figurative pour la sculpture abstraite en trois dimensions avant de s’initier à la sculpture activée par le vent. « Après avoir commencé à me concentrer sur la fabrication de sculptures qui se déplacent par le vent et l’eau, Leonardo m’a donné des indices de diverses manières et m’a parfois donné des conseils », confie celui qui, comme le maître italien, noircit à longueur de journée des carnets afin de ne perdre aucune miette de ses idées.
Un projet de village utopique
L’artiste nippon octogénaire a vu l’un de ses projets les plus ambitieux se réaliser : la création d’un village utopique intitulé Atelier Earth. Situé dans la ville de Sanda, au nord-ouest d’Osaka dans la préfecture de Hyogo, Atelier Earth comprend en son coeur un musée, un théâtre, un atelier et un café, reliés entre eux par un anneau. Avec, bien évidemment, la patte de l’artiste, puisque au sommet de chaque construction se trouve une sculpture mobile colorée, dont certaines sont reliées à des dispositifs permettant de faire bouger des objets dans la pièce.
« J’essaie de créer un atelier avec des gens qui partagent les mêmes pensées que moi, sans détruire davantage la nature, comme un lieu où nous pouvons prendre plaisir à penser au mode de vie futur. » Une utopie qui pourrait ressembler à celle de Vinci, lorsqu’il a réfléchi pour François Ier à un concept de ville idéale. Avec en filigrane, pour Susumu Shingu, cet impératif d’ode et de respect à la nature.
Susumu Shingu, une utopie d’aujourd’hui (2019-2020), une exposition au Château de Chambord qui a eu lieu du 6 octobre 2019 au 15 mars 2020. Plus d’informations sur Atelier Earth sont disponibles sur le site internet de l’artiste.
Musée du vent, Susumu Shingu (Sanda, Japon) 2015 © Jeanne Bucher Jaeger
L'exposition “Susumu Shingu, une utopie d'aujourd'hui” au Château de Chambord © Susumu Shingu
Dessin préparatoire de l’exposition de Susumu Shingu à Chambord © Susumu Shingu
“Atelier Earth”, dessin 2019 © Susumu Shingu
Susumu Shingu © Domaine national de Chambord - Olivier Marchant
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