Yasuo Kuniyoshi, un artiste américain, japonais jusqu’à sa mort

En 1948, le premier artiste vivant exposé à New York au Whitney Museum of American Art était alors… japonais.

30.09.2021

TexteHenri Robert

Yasuo Kuniyoshi, “Self-Portrait as a Photographer”, 1924. Courtesy of The Metropolitan Museum of Art, New York, Bequest of Scofield Thayer, 1982. © Estate of Yasuo Kuniyoshi/Licensed by VAGA, New York, N.Y.

L’art et la vie de Yasuo Kuniyoshi, ce sont des rencontres, des échanges, dans ce qu’ils ont de plus beaux et cruels, c’est une existence entre deux mondes, entre un Occident qui le célébrera, et un Orient auquel il sera toujours renvoyé.

C’est en 1906, alors qu’il est âgé de 16 ans, que l’artiste originaire d’Okayama quitte le Japon — échappant ainsi au service militaire. Après un passage par Vancouver, il s’installe aux États-Unis à New York, où il s’inscrit à l’Art Students League, une école où il enseignera. Peintre et dessinateur, il est récompensé en 1944 du prestigieux prix Carnegie International. En 1952, un an avant son décès, il a l’honneur de représenter les États-Unis à la 26e Biennale de Venise, aux côtés d’icônes de l’art américain que sont Alexander Calder, Stuart Davis et Edward Hopper.

 

Une existence marquée par la discrimination

Quand le Whitney Museum of American Art de New York décide en 1948 de lui consacrer une exposition, Yasuo Kuniyoshi — qui n’obtiendra la nationalité américaine qu’après sa mort en 1953 —, devient le premier artiste vivant à bénéficier d’un tel honneur. Ce détail illustre l’importance dans la vie de l’artiste, dans son œuvre, de son origine, dans une période marquée par la Seconde Guerre mondiale et le conflit entre le Japon et les États-Unis.

Comme le rapporte le curateur Tom Wolf dans le catalogue qui accompagne l’exposition The Artistic Journey of Yasuo Kuniyoshi, organisée en 2015 par le Smithsonian American Art Museum, l’artiste expliquait : « À l’exception de mon apparence physique et de mon nom, je suis autant américain dans mon approche et dans ma pensée que les autres. Je suis aussi américain que les autres. »

Bien qu’il ait trouvé sa place au sein du monde artistique américain, l’existence de Yasuo Kuniyoshi a été marquée par les discriminations subies par les Japonais à cette époque. Preuve en est, après son mariage avec Katherine Schmidt, cette dernière a été désavouée par sa famille. Une étape a notamment été franchie après Pearl Harbor, un événement qui provoque une explosion de la xénophobie. L’artiste est alors fiché « ressortissant d’un pays ennemi », le gouvernement saisit son appareil photo, restreint ses déplacements, et le place même sous couvre-feu. Sa présence sur la côte Est lui permet d’échapper à l’internement. Comme pour prouver son « américanité », Kuniyoshi a commencé à travailler pour le Bureau d’information sur la guerre, et à participer à la propagande anti-japonaise.

 

Un art qui évolue avec le contexte de guerre

« Les écrivains américains qui ont affirmé qu’il y avait quelque chose d’ “oriental” dans son art avaient raison : il a incorporé à sa pratique des éléments issus des traditions artistiques asiatiques, en termes de technique, de composition et de sujet », poursuit Tom Wolf.

Son œuvre peut être divisée en différentes périodes, qui reflètent des contextes historiques et personnels. Dans ses premières années — durant lesquelles il complétait également ses revenus avec des photographies —, l’artiste peint et dessine principalement des portraits, notamment de danseuses, des scènes du quotidien typiquement américaines, des natures mortes. Une partie de sa production est également associée à la peinture moderne européenne, dans un style naïf, folk, rappelant l’œuvre de Marc Chagall ou d’Henri Rousseau. Le début de la guerre marque un assombrissement de son travail, avec davantage de noir et blanc, ou des compositions plus énigmatiques, torturées.

Dans son autobiographie, citée par le Smithsonian American Art Museum, Yasuo Kuniyoshi résumait ainsi ce qui sous-tend son œuvre :

« Je crois vraiment que nous peignons tous notre expérience, et lorsqu’on peint, l’espace entre la toile et l’artiste disparait. »

 

The Artistic Journey of Yasuo Kuniyoshi (2015), une exposition d’oeuvres de Yasuo Kuniyoshi organisée par le Smithsonian American Art Museum du 2 avril au 29 août 2015.

Yasuo Kuniyoshi, “Strong Woman and Child”, 1925, oil on canvas, Smithsonian American Art Museum, Gift of the Sara Roby Foundation, 1986.6.50)

Yasuo Kuniyoshi, “Milking the Cow”, 1927, lithograph on paper, Smithsonian American Art Museum, Museum purchase, 1969.90)

Yasuo Kuniyoshi, “Maine Family”, 1922-1923, Phillips Collection © Estate of Yasuo Kuniyoshi/Licensed by VAGA, New York, NY.

Yasuo Kuniyoshi, “Torture”, 1943. Pencil on paper, 40 x 28½ inches. Collection of John Cassara. © Estate of Yasuo Kuniyoshi/Licensed by VAGA, New York, N.Y.

Yasuo Kuniyoshi, “Nude at Door”, 1928, lithograph and chine-collé on paper, Smithsonian American Art Museum, Museum purchase, 1966.23.1)