Au cœur de la psyché Japonaise avec Ryusuke Hamaguchi, cinéaste de l’intime

08.11.2019

TexteRebecca Zissmann

©MCJP

Dans ses films, les personnages semblent saisis d’un besoin incontrôlable de prendre la parole. De la laisser révéler le fond des choses pour dénouer les crises en disséquant l’émotion, pourtant peu souvent dévoilée au Japon. Ce jaillissement parfois brutal des mots peut surprendre dans un cinéma qui nous a plutôt habitué à la suggestion ou au dénouement par l’action. Mais quel rafraîchissement !

Ryusuke Hamaguchi est présent depuis peu sur les écrans français. Cet automne, la Maison de la Culture du Japon à Paris lui consacre une rétrospective, sa première en Europe « Ryusuke Hamaguchi, enregistrer l’intime ».  Le grand public n’a découvert ce réalisateur prodigue qu’en 2018, lors de la sortie en salles de Senses (titre original Happy Hour), sa fresque en cinq épisodes sur la crise existentielle traversée simultanément par quatre amies bientôt quadragénaires. Près de cinq heures de film qui laissent la part belle aux conversations de table, étirées comme rarement au cinéma.

Car Hamaguchi privilégie le jeu des acteurs et travaille en séparant les prises le moins possible pour leur laisser la liberté d’aller en profondeur dans le développement de leur personnage. Le réalisateur japonais dit d’ailleurs être inspiré par le cinéma de John Cassavetes qui « rend à l’écran le sentiment d’être sur le point de craquer ». Et des craquages, il y en a beaucoup dans ses films. Hamaguchi s’emploie à creuser les thématiques douloureuses de l’absence avec des personnages qui doivent faire face à la disparition soudaine d’un proche ou qui décident eux-mêmes de s’évaporer.

Comme dans Asako I et II, adaptation du roman « Netemo Sametemo » de Tomoka Shibasaki, où la jeune héroïne perd un amant pour le retrouver en un autre des années plus tard, dans un jeu de miroir étonnant. Ce film est le premier du réalisateur à avoir été présenté en compétition officielle au Festival de Cannes en 2018. Il est sorti en France dans la foulée l’hiver dernier.

Hamaguchi, que l’on découvre tout juste ici, est déjà bien installé dans le paysage du cinéma japonais qu’il côtoie depuis une décennie. Son film de fin d’études, Passion, a été réalisé en 2008. On a pu le découvrir en salles cet été et mieux se rendre compte de son évolution cinématographique, qui s’est cadrée depuis pour ne retenir que le meilleur des logorrhées de ses acteurs.

Grâce à la rétrospective à la Maison de la Culture du Japon, on peut désormais découvrir ses travaux antérieurs et alternatifs. Notamment sa trilogie sur le Tohoku, durement frappé par le tsunami et l’incident nucléaire de mars 2011. Avec son acolyte Ko Sakai, Hamaguchi s’est rendu dans les régions sinistrées afin de recueillir les témoignages des rescapés dans une démarche d’archivage mémoriel.

C’est probablement à ce moment qu’il a développé son don pour filmer l’écoute. Car si certains personnages ouvrent les vannes de la confession, d’autres sont là pour s’en faire les receveurs. Sans compter le public. En filmant ces mécanismes d’interaction intimes, le réalisateur japonais apporte un vent de fraîcheur au cinéma japonais contemporain. Il écrit lui-même dans le recueil d’essais « Ryusuke Hamaguchi, enregistrer l’intime » publié en parallèle de la rétrospective par la Maison de la Culture du Japon à Paris, que ses films sont « des films de la chance ».

« En-dehors d’Asako I et II, tous mes autres films ont été réalisés avec des budgets étonnamment peu élevés au regard des standards internationaux. Si j’en suis venu à faire des films dans ces conditions, c’est parce que j’ai jugé que, dans le contexte cinématographique japonais de l’époque, c’était le meilleur moyen d’assurer mon indépendance et de mettre en scène des films en toute liberté ».

Senses, Asako I et II et Passion sont à voir et à revoir chez soi, grâce au coffret DVD Arte Editions à paraître le 27 novembre 2019.

La rétrospective que lui consacre la Maison de la Culture du Japon à Paris est à visionner jusqu’au 16 novembre 2019.