“La Belladonne de la tristesse”, un film érotico-fantastique en aquarelle
Ce récit de revanche psychédélique illustré à la main sur une musique jazz-rock est issu du studio de production d'Osamu Tezuka.
Couverture de l'album “Belladonna” de Masahiko Sato. Avec l'aimable autorisation de Finders Keepers Records.
Récit fantastique médiéval aux peintures évocatrices de la flore, la faune et la magie noire du Moyen-Âge, le film d’animation pour adultes La Belladonne de la tristesse (1973) reste une oeuvre singulière, inclassable, au-delà de son histoire satanique. Ses aquarelles éclatantes ne parviennent pas à atténuer la représentation des multiples abus subis par Jeanne, le personnage principal, lors de ses diverses rencontres dans de petits villages français. Au contraire, les illustrations hallucinogènes amplifient le chaos d’une narration qui oscille entre romantisme et gore.
Alors que l’intrigue suit le fil d’une sorcellerie kaléidoscopique, La Belladonne de la tristesse devient le théâtre de scènes de sexe dont la représentation rebelle fait écho aux énergies émancipatrices des mouvements féministes du Japon des années 1970. Avec sa bande originale psychédélique composée par le pianiste de jazz expérimental Masahiko Sato, le film, dirigé par Eiichi Yamamoto et produit par le célèbre studio d’Osamu Tezuka Mushi Production, a marqué l’histoire du film d’animation par sa singularité expérimentale.
La sexualité comme une arme
Pour La Belladonne de la tristesse, Eiichi Yamamoto, un réalisateur connu précédemment pour des classiques du film d’animation comme Astroboy, Le Roi Léo ou Yamato, s’est inspiré de La Sorcière, un essai du XIXème siècle sur la sorcellerie par l’historien Jules Michelet. A l’instar de Jeanne d’Arc, l’héroïne du film doit inévitablement, en tant que femme, faire face aux hiérarchies oppressantes du féodalisme catholique. Mais comme évoqué par Jules Michelet dans son texte, la magie finit par lui permettre de s’emparer de sa sexualité et de la manier comme une arme, amenant des moments de bouleversement total.
Semblant allier le rococo de Gustav Klimt, ou les contorsions d’Egon Schiele, avec le style d’animation abstraite d’un Masaaki Yuasa, une orgie débute dans la seconde partie du film lors d’une séquence psychédélique avec force fleurs multicolores et parties génitales ; un trait d’union entre le Moyen-Âge et les contre-cultures de l’après Seconde guerre mondiale.
Accentuant l’esthétique européenne du film, chaque scène est soutenue par la partition de Masahiko Sato, un pianiste prolifique à la tête des cercles du jazz underground du Japon des années 1970. Dans son style habituel de cacophonie improvisée, des guitares électriques et des orgues orientent le drame sensuel du film, alors que l’atmosphère carnavalesque des troupes de théâtre expérimental de Tokyo, comme celle de Shuji Terayama et J. A. Ceazer, Tenjo Saijiki, est suggérée dans un chaos sous-jacent.
Dans Japrocksampler, Julian Cope décrivait Masahiko Sato comme une figure intimement liée aux histoires du jazz et du rock japonais, un avocat de nouvelles hybridations musicales au sein de l’interprétation de ces genres étrangers. Autant que son esthétique frappante, La Belladonne de la tristesse a atteint son statut de film culte grâce à sa débauche sonore réminiscente de la théâtralité des années 1970.
Un échec commercial au succès posthume
Bien que produit par une institution majeure de l’animation, il n’est pas surprenant que La Belladonne de la tristesse ait été un échec commercial, compte tenu de son contenu subversif. Le film a même largement contribué à la banqueroute de Mushi Production l’année de sa sortie.
Pourtant, comme beaucoup d’ovni dans le cinéma d’animation japonais, sa redécouverte ces dernières années a entraîné sa reconnaissance posthume, renforcée par plusieurs sorties en DVD et séances rétrospectives dans des festivals de cinéma. Les copies originales de la musique du film restent, quant à elles, très convoitées, même si la bande son a été rééditée récemment en format vinyle, notamment en 2016 par Finders Keepers Records, étendant son caractère insaisissable aux années 2020.
La Belladonne de la tristesse (1973), un film d’animation réalisé par Eiichi Yamamoto et édité en DVD par Eurozoom.
La bande originale composée par Masahiko Sato a été rééditée par Finders Keepers Records. Plus d’information sur leur page officielle bandcamp.
“La Belladonne de la tristesse” © Mushi Production
“La Belladonne de la tristesse” © Mushi Production
“La Belladonne de la tristesse” © Mushi Production
“La Belladonne de la tristesse” © Mushi Production
“La Belladonne de la tristesse” © Mushi Production
“La Belladonne de la tristesse” © Mushi Production
“La Belladonne de la tristesse” © Mushi Production
“La Belladonne de la tristesse” © Mushi Production
“La Belladonne de la tristesse” © Mushi Production
“La Belladonne de la tristesse” © Mushi Production
“La Belladonne de la tristesse” © Mushi Production
“La Belladonne de la tristesse” © Mushi Production
“La Belladonne de la tristesse” © Mushi Production
“La Belladonne de la tristesse” © Mushi Production
“La Belladonne de la tristesse” © Mushi Production
“La Belladonne de la tristesse” © Mushi Production
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