“Le chrysanthème et le sabre”, comprendre le Japon depuis les États-Unis

Le Pentagone a commandé cet ouvrage à Ruth Benedict afin de décortiquer la mentalité japonaise et préparer la future occupation du pays.

12.10.2021

TexteClémence Leleu

© Éditions Picquier

Le chrysanthème et le sabre est un ouvrage ambivalent et dont la publication a été beaucoup discutée. Pour le comprendre, il suffit de poser le contexte : nous sommes en 1944 et la guerre du Pacifique fait rage. Le Pentagone, quartier général du ministère de la Défense américain, commence à mettre au point une stratégie d’occupation du Japon, en cas de victoire. Problème, la société et les mentalités japonaises leur restent presque inconnues. C’est ainsi que l’on demande à Ruth Benedict, célèbre anthropologue américaine, de publier un rapport précis sur le sujet. Seulement, Ruth Benedict n’a jamais mis un pied au Japon, ne l’a jamais étudié et n’en parle pas la langue. Et en pleine guerre, il lui est bien impossible de s’y rendre. 

Pourtant, un an plus tard Ruth Benedict rend son rapport alors que la guerre n’est pas encore terminée. Un rapport qui s’appuie sur divers matériaux : de la littérature traduite, des films d’avant-guerre et des entretiens menés exclusivement avec des prisonniers de guerre et des immigrés japonais internés. Cet ouvrage — publié en 1946 et dont les conclusions ont souvent été remises en question par la suite tant il lui manque un travail de terrain — devient, à sa traduction en japonais en 1948, un best-seller dans l’archipel. 

 

Ne pas toucher à l’Empereur

Ruth Benedict y déploie sa thèse principale : chaque être humain répond aux stimuli divers à travers le prisme de la culture. La société règle les manières de penser et d’agir, tandis que la culture est la morale qui forge les valeurs. Elle décrit également le modèle sociétal japonais qui serait fondé autour de notions principales dont l’obligation, la dette et le devoir. Mais aussi la honte, qui selon elle est un pivot : les Japonais se tiendraient et agiraient conformément  aux codes appris dès lors qu’ils sont en public. Une conformité aux codes qui s’efface une fois chacun à l’abri des regards. 

Un rapport qui a eu un poids politique majeur puisqu’une des recommandations de l’autrice fut particulièrement suivie par le pouvoir américain. Ruth Benedict y écrivait qu’il était primordial de ne pas toucher à la figure politique impériale après l’occupation. Le général Douglas MacArthur la suivit, l’empereur Hirohito fut ainsi exempté de toute poursuite pour crime de guerre. 

Le chrysanthème et le sabre, un titre fort en symboles — le chrysanthème étant celui du pouvoir impérial tandis que le sabre est celui de la tradition samouraï — est un ouvrage qui éclaire à la fois une période et un contexte historique, mais qu’il est nécessaire de replacer dans son contexte : celui d’un exercice réalisé depuis les États-Unis, avec une vision souvent parcellaire de ce qu’est un citoyen japonais.  

 

Le chrysanthème et le sabre (1946), un ouvrage de Ruth Benedict publié aux éditions Picquier.