Les “ama” japonaises, une plongée entre fantasmes érotiques et réalités

Depuis des siècles, ces femmes plongeuses passionnent les artistes, qui leur ont longtemps associé une dimension érotique.

10.08.2021

TexteHenri Robert

“Dames de cour regardant des plongeuses ama au travail” (1880) - Chikanobu Toyohara

Pendant l’ère Edo, certains artistes membres du mouvement ukiyo-e s’intéressent aux pêcheuses sous-marine en apnée, dites ama (littéralement « femmes de la mer »). Ces œuvres, notamment réalisées par Katsushika Hokusai ou Shigenobu Yanagawa, participent à associer un imaginaire érotique à ces femmes, surnommées les sirènes du Japon. Aujourd’hui, la dureté du métier de ces travailleuses amène leur nombre à inexorablement décliner.

 

Légende et érotisme

Shuzo Kogure, chercheur de l’Université océanographique de Tokyo (Tumsat) et spécialiste des ama, estime que cette tradition remonte à « au moins 3 000 ans », comme il le confie au magazine Geo. Quant à leur image fantasmée, sur le fond et la forme, représentée dans la célèbre estampe Le rêve de la femme du pêcheur (1814) de Hokusai, elle est également liée à une légende portée à la fin du XIXème siècle par Kokichi Mikimoto. Après avoir mis en place la culture d’huîtres perlières, ce dernier a œuvré à laisser penser que ces femmes se consacraient principalement à cette pratique. Pourtant, le rôle premier des ama, qui se transmet de mère en fille, est de subvenir aux besoins primaires de leurs communautés, en leur fournissant des aliments, notamment des oursins, des crustacés, des ormeaux ou des pieuvres.

Parmi les plus célèbres représentations des ces femmes au XIXème siècle— présentées par la Shunga Gallery —, citons le triptyque Dames de cour regardant des plongeuses ama au travail (1880) de Chikanobu Toyohara, dans lequel des dames de cour sur un bateau de plaisance se divertissent à observer les plongeuses ama au large des côtes de la province de Sagami (aujourd’hui Kanagawa). Dans un genre déjà plus érotique, Quatre filles ama au travail (1827) de Kunisada Utagawa (1786-1865) montre quatre plongeuses ama en plein travail, dont une jeune fille tenant un couteau dédié à l’ouverture des huîtres ou une autre qui affronte les vagues. Dans Deux jeunes plongeuses ama (1830) de Shigenobu Yanagawa, les deux ama sont explicitement représentées s’adonnant à des plaisirs sexuels.

 

Les ama du XXIème siècle

Sur les côtes de Shima et de Toba, dans la préfecture de Mie, le nombre d’ama ne cesse aujourd’hui de baisser. Ainsi, selon les données du musée de la mer de Toban, relayées par le magazine Geo, elles seraient désormais moins de 2 000 au Japon, contre plus de 12 000 dans les années 1930. En 1950, le photographe Yoshiyuki Iwase réalisait ce qui est présenté comme la première série dédiée aux ama. Plus récemment, le photographe Stéphane Coutteel a présenté dans une série l’histoire et le quotidien de ces femmes, en soulignant qu’« au-delà de leurs extraordinaires performances, c’est un mode de vie admirable et particulièrement respectueux de l’environnement qui est menacé de disparition ».

Si une partie des ama, dont les conditions de vie sont précaires, ont été recrutées par l’industrie du tourisme, certaines poursuivent ce travail ancestral de leur côté. Afin de préserver cet héritage, le Japon a choisi de présenter la candidature de cette tradition à l’inscription au patrimoine culturel immatériel de l’Unesco.

 

Plongeuses Ama – L’odyssée des femmes de la mer (2016), une série de photographies par Stéphane Coutteel à retrouver sur son site internet.

“Quatre filles ama au travail” (1827) - Kunisada Utagawa

“Deux jeunes plongeuses ama” (vers 1830) extraite de la série “Suetsumuhana” - Shigenobu Yanagawa

Yoshiyuki Iwase, “Sans titre (Plongeuses Ama)”, vers 1950 © Bonhams

© Stéphane Coutteel

© Stéphane Coutteel

© Stéphane Coutteel