Shunga, un art érotique admiré puis prohibé

16.12.2019

TexteSolenn Cordroc'h

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Si l’emblématique maître Hokusai reste associé aux estampes où la nature est reine, une de ses oeuvres les plus célèbres a un thème bien moins bucolique. Datée de 1814, “Le rêve de la femme du pêcheur” représente une femme en plein ébat sexuel avec deux pieuvres. Cette gravure sur bois s’inscrit pleinement dans le courant artistique du shunga. Signifiant littéralement “image du printemps”, un euphémisme pour évoquer l’acte sexuel, le shunga est un art prolifique de la période Edo (1600-1868) qui saisit des moments d’intimité sur le vif. Éminemment inventif, se distinguant par une sexualité libérée, hétérosexuelle mais également homosexuelle ou en solitaire, le shunga célèbre le monde des plaisirs avec une certaine audace.

Aux prémisses de cet art érotique, les estampes n’étaient disponibles que dans les couches supérieures de la société. Mais à mesure que leur production et leur distribution s’intensifièrent, elles conquirent un plus large auditoire. Considérés comme des talismans pour les marchands et guerriers qui les gardaient précautionneusement dans les manches de leur kimono, ou offerts en cadeaux de mariage comme manuel d’instruction pour la nuit de noce, les shunga s’évertuent alors à normaliser le sexe, malgré la froideur du confucianisme à l’égard de ces contenus bien peu puritains. A contrario, le shinto a toujours envisagé l’acte sexuel comme ordinaire, à condition de ne pas en abuser. Selon la mythologie shinto, la première île japonaise, Onogoro, aurait été façonnée par une éjaculation symbolique du dieu Izanagi, tandis que toutes les autres îles seraient sorties du ventre de sa femme, la déesse Izanami.

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Ni tabou ni honteux, les shunga, appréciés pour leur nature sexuelle, ne sont pas moins dénués d’humour, à l’image d’une gravure dépeignant un chat s’amusant avec les parties génitales de son maître, en plein coït avec une dame. Le plus souvent vêtus, les protagonistes des scènes se distinguent justement par leur tenue, permettant de les situer sur une échelle sociale et de comprendre au premier coup d’oeil si les amants sont une courtisane et un acteur de kabuki par exemple. Le vêtement n’est en aucun cas un artifice pudique, il permet au demeurant d’attirer l’attention sur certaines parties charnelles. Bien souvent, les artistes souhaitent accentuer l’érotisme de leur art en exagérant la taille des sexes de leur sujet, pareillement aux peintures érotiques chinoises de l’époque Muromachi (1336-1573) exhibant des organes génitaux démesurés.

L’art du shunga ne tarde pas à écoper d’une motion de censure en 1722. Pourtant, la production et la vente clandestines des gravures se poursuivent jusqu’au début des années 1900. Après la restauration de Meiji (1868) et l’introduction de la photographie, l’ère du shunga prend fin. Il continue néanmoins d’inspirer les mangas et animés à caractère pornographique qui développent leur propre genre dit “hentai”. La liberté de ton des gravures érotiques japonaises a été également une intarissable source d’inspiration pour des peintres occidentaux tels que Toulouse-Lautrec, Degas et Picasso. Plus récemment, une exposition au British Museum de Londres en 2013 ainsi qu’au musée Eisei Binko de Tokyo en 2015 ont rencontré un vif succès, malgré quelques plaintes visant certaines oeuvres jugées obscènes. Cette frigidité à l’encontre de l’art érotique ne saurait balayer l’abondante fertilité du shunga. Estimé pour son caractère sexuel et humoristique, il a été, à bien des égards, un des piliers de l’ukiyo-e, ce mouvement artistique notable de l’ère Edo favorisant une peinture populaire et accessible.

©Rijksmuseum

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