“Pachinko” – le flipper japonais
Les flippers japonais, très lucratifs malgré l'interdiction des jeux d'argent dans le pays, cachent une réalité sociale peu reluisante.
Illustration de Miranda Remington
Le phénomène culturel que représentent les flippers pachinko dans la société n’est pas souvent abordé au Japon, où les jeux d’argent sont illégaux. Pourtant, ces machines génèrent 30 fois plus de revenus que les casinos de Las Vegas chaque année. Les salons de pachinko sont composés de vastes rangées de machines à sous clignotantes, face auxquelles les joueurs sont absorbés pendant de longues heures.
Au milieu d’une explosion de bruits mécaniques, chaque machine est un autel vrombissant décoré de manière kaléidoscopique avec de célèbres personnages d’anime. L’éblouissant dispositif peut être vu comme une métaphore d’une réalité régie par la frénésie technologique et la compétition, dans ce qu’elle a de plus sauvage.
Un univers pop initialement pour enfants
Pour jouer au pachinko, le joueur n’utilise qu’un seul levier afin de propulser des billes entre des broches et les faire tomber dans des trous. Quant à la part de chance ou de maîtrise, elle demeure ambiguë. Pour ce qui est des gains, au lieu de recevoir directement de l’argent, les billes sont utilisées pour gagner des « jetons de prix spéciaux », monnayables chez des vendeurs extérieurs et ce, sans techniquement enfreindre la loi.
Les premières machines ont été fabriquées dans les années 1920 et étaient destinées aux enfants, inspirées par des modèles européens antérieurs. Elles étaient placées dans des magasins de bonbons, les friandises faisant alors office de récompenses. Ces machines ont vite été baptisées « Pachi Pachi » en raison des sons qu’elles émettent. De retour après la guerre, et cette fois destinées aux adultes, elles deviennent entièrement électriques dans les années 1980. Leurs écrans LCD et les sons produits incorporent alors de plus en plus d’éléments propres à l’univers du jeu vidéo. Associées à l’univers pop-culturel — les deux machines les plus populaires de tous les temps représentent le manga classique Ken le Survivant et l’anime Neon Genesis Evangelion —, la majorité des franchises appartiennent à Sega Sammy Studios, la société à l’origine de Sonic.
Des lieux gérés par la communauté coréenne
L’écosystème discret du pachinko génère de considérables profits grâce à des failles juridiques souvent utilisées à des fins de corruption, impliquant notamment les yakuza. Cet environnement met par ailleurs en lumière le statut ambivalent des minorités ethniques au Japon.
Les thèmes du flipper et du destin sont au cœur de Pachinko (2017), roman primé de l’auteure coréenne-américaine Min Jin Lee qui porte sur une famille coréenne trouvant du travail dans cet environnement. L’épopée multigénérationnelle de Pachinko est basée sur les réelles difficultés auxquelles sont confrontés les Coréens au Japon — qui constituent la plus importante minorité du pays depuis la Seconde Guerre mondiale —, souvent exclus du marché du travail. Alors que les salons de pachinko occupent près de la moitié du temps consacré au loisir des Japonais, on parle peu de cette population installée dans le pays depuis maintenant plusieurs générations, et qui après avoir lancé cette industrie dirige aujourd’hui près de 80 % de ces lieux.
Symbole d’une société japonaise dont le charme naît notamment de son caractère déroutant, le pachinko et ses promesses d’évasion, a montré la solidité de son modèle économique. Aujourd’hui, alors que les débats sur la légalité du jeu au Japon s’intensifient, les parieurs peuvent spéculer sur le sort qui sera réservé au pachinko.
Le pachinko est aujourd’hui pratiqué à travers tout le Japon. La nouvelle Pachinko (2017) de Min Jin Lee, lauréate du US National Book Award for Fiction, est éditée en français par Charleston.
Illustration de Miranda Remington
Illustration de Miranda Remington
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