« Quand le vent a soufflé sur les braises, il reste les petites pépites », Haruomi Hosono par Laurent Brancowitz, guitariste de Phoenix
Depuis ses débuts, le groupe pop rock français est inspiré par la musique japonaise des années 1970 et l'une de ses icônes.
Phoenix à Paris en 2022. De gauche à droite, et de bas en haut : Christian Mazzalai, Laurent Brancowitz, Thomas Mars et Deck d'Arcy. © Emma Picq
Parmi les groupes français les plus célèbres au monde, Phoenix est l’un des derniers représentants de la French Touch. Cet ensemble d’artistes de musique électronique, auquel appartiennent Daft Punk, Air ou encore Justice, a émergé en France dans les années 1990-2000 et s’est exporté avec succès à l’international. Un patrimoine musical français qui a été célébré encore récemment lors de la cérémonie de clôture des Jeux Olympiques de Paris 2024 lorsque Phoenix et Air se sont produits sur scène.
Groupe à la longévité remarquable, Phoenix bénéficie toujours d’une grande popularité. Son dernier disque, Alpha Zulu (Loyauté/Glassnote Records, 2022), enregistré au Musée des Arts Décoratifs de Paris en plein coeur du Palais du Louvre, a été encensé par la critique. Le guitariste Laurent Brancowitz confie avoir puisé de l’inspiration dans le paysage sonore japonais des années 1970. Une figure incontournable s’impose alors : celle de Haruomi Hosono. Pour Pen, le membre de Phoenix a accepté de revenir sur son admiration pour cette icône.
Pen : Quand avez-vous entendu pour la première fois la musique de Haruomi Hosono ?
Laurent Brancowitz : Chaque rencontre avec Hosono a son histoire. Je l’ai d’abord connu grâce au morceau “Kaze Wo Atsumete” de son groupe Happy End qui figurait sur la bande originale du film Lost in Translation (n.d.l.r. Sofia Coppola est l’épouse de Thomas Mars, chanteur de Phoenix qui signe aussi un morceau de la bande originale).
Ensuite, j’ai acheté l’album Hosono House et j’ai compris avec les notes de pochette qu’il l’avait enregistré chez lui, on le voyait d’ailleurs en photographie sur un sol en tatami. Cela m’avait tant fasciné que j’avais même essayé de trouver où était cette fameuse Hosono House. J’ai d’ailleurs récemment racheté ce disque à Tokyo car le mien commençait à être usé.
“Hosono House”, premier album solo de Hosono Haruomi paru en 1973 sur le label Bellwood.
Et puis, il y a quelques années, un jour où je visitais le magasin Found Muji à Omotesando, un morceau de leur playlist a piqué ma curiosité. C’était un titre que Hosono avait composé spécifiquement pour Muji. Je ne connaissais pas ce versant plus ambient de son œuvre, que j’apprécie aussi beaucoup.
Pen : Vous parlez du morceau “TALKING”, produit en 1984. Un titre qui a connu un succès inattendu à l’international lors de sa mise en ligne sur Youtube en 2017. Une véritable sous-culture alimentée par une communauté de passionnés s’est formée autour de cette composition. Qu’est-ce qui vous a plu dans ce morceau ?
Laurent Brancowitz : J’ai été séduit par ses sonorités ambient à la Brian Eno, teintées de la sensibilité de Hosono qui me correspond mieux. Harmoniquement, le choix des timbres qui parlent à son cœur sont les mêmes qui parlent au mien.
“Hana ni Mizu”, une cassette book parue en 1984 (Tōjusha) sur laquelle figure le morceau “TALKING” utilisé comme bande sonore par Muji.
Pen : Ce morceau, vous souhaitiez l’employer comme sample avant que Ezra Koenig, chanteur de Vampire Weekend, ne le fasse sur sa chanson “2021” (Columbia Records, 2019). Bien que ce titre ne se retrouve pas sur “Alpha Zulu”, vous dites avoir été inspiré par la musique du Japon des années 1970 lors de son enregistrement. Comment décidez-vous d’intégrer ou non des samples à vos morceaux et qu’est-ce qui constitue un bon sample selon vous ?
Laurent Brancowitz : Au sein du groupe, c’est surtout moi qui amène les samples. Je fonctionne sur le principe du butinage : dès que quelque chose accroche l’oreille, je le mets de côté. Je crée ensuite une sorte de palette sonore que nous pouvons utiliser en studio. Quand je vais au Japon, je rentre les bagages remplis de samples car il y a un énorme gisement de matière musicale passée sous les radars.
La musique japonaise des années 1970 nous inspire depuis nos débuts. L’un de nos premiers morceaux à avoir eu du succès, “If I Ever Feel Better”, comportait un sample du morceau “Lament” composé par le flûtiste de jazz Honda Toshiyuki. Un bon sample, c’est un sample que l’on peut transfigurer, auquel on parvient à faire dire autre chose, de complètement différent. Ce qui s’était produit avec “If I Ever Feel Better” puisque nous avions fait les choses avec respect pour l’auteur auprès duquel nous avions clearé le sample. Et lui-même ne reconnaissait pas son œuvre dans notre morceau.
Nous utilisons aussi des synthétiseurs japonais comme ceux de Roland ou Yamaha qui ont eu une énorme influence sur la culture pop mondiale. De Stevie Wonder à Kraftwerk, peu importe le style musical, un circuit électronique japonais est passé par là. Je trouve formidable de savoir que des ingénieurs japonais ont eu cet impact sur la musique populaire.
“Alpha Zulu”, le dernier album de Phoenix paru en 2022 chez Loyauté/Glassnote Records.
Pen : Pour revenir à Hosono Haruomi, vous vous retrouvez dans son approche musicale ?
Laurent Brancowitz : Lui et nous avons une attitude assez similaire. Nous avons écouté les mêmes disques, même s’il fait partie d’une autre génération, et faisons face au même défi. Celui d’arriver à transformer une matière musicale venue de l’étranger, surtout du monde anglo-saxon, et de nous l’approprier pour en faire une matière qui nous soit propre. Nous, Phoenix, en tant que Français et lui en tant que Japonais.
Pen : Vous disiez avoir été marqué par le fait que Hosono ait enregistré “Hosono House” chez lui. Pour “Alpha Zulu”, que vous avez enregistré en plein cœur du Palais du Louvre à Paris, vous avez fait installer un sol en tatami !
Laurent Brancowitz : Dans la pièce du Musée des Arts Décoratifs dans laquelle nous nous trouvions, il y avait une très belle fenêtre circulaire qui donnait sur le jardin des Tuileries. C’est là que nous avons pensé à faire poser un tatami puis nous l’avons commandé à un artisan de Kyoto. Je suis moi-même obsédé par les questions d’acoustique et le rôle que peut jouer un sol en tatami. J’adorerais disposer moi-même d’une pièce comme ça pour pouvoir écouter des disques.
Pen : L’héritage musical de Hosono Haruomi est incommensurable au Japon et a désormais traversé les frontières. Comment expliquez-vous ce phénomène ?
Laurent Brancowitz : Certaines personnes ont la carrure pour être au niveau des plus grands artistes de la pop music comme David Bowie ou Bob Dylan. Je pense à Serge Gainsbourg pour la France ou Lucio Battisti pour l’Italie. C’est bien sûr plus difficile pour ces figures car elles se situent en périphérie du monde anglo-saxon qui domine la discipline. Mais lorsqu’elles parviennent à se hisser à ce niveau, il n’est que normal que le monde entier reconnaisse leur talent. Souvent, ces protagonistes ne sont plus là pour en profiter mais il y a toujours une sorte de justice céleste qui vient leur rendre ce qui leur est dû. Ainsi de Hosono Haruomi. Quand le vent a soufflé sur les braises, il reste les petites pépites. Son œuvre est si vaste et si grand son génie qu’il reste encore tant à découvrir.
Alpha Zulu (2022), un album de Phoenix, édité par Loyauté/Glassnote Records.
Phoenix à Paris en 2022. De gauche à droite : Laurent Brancowitz, Deck d'Arcy, Christian Mazzalai et Thomas Mars. © Shervin Lainez
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