“Sans soleil”, le Japon irradiant

Dans ce film à la croisée des genres, Chris Marker questionne l’altérité et le quotidien au Japon et en Guinée Bissau.

03.08.2021

TexteClémence Leleu

© 1983 Argos, film disponible sur LaCinetek

Poème, fiction, essai, il est difficile de placer Sans soleil, film de Chris Marker sorti en 1983, dans une case bien définie. Le cinéaste s’appuie sur des lettres, prétendument rédigées par Sandor Krasna, un caméraman fictif, que l’on envisage volontiers comme l’avatar de Marker. 

Des lettres lues par Florence Delay, voix off qui accompagne les spectateurs tout au long du film. « Le texte ne commente pas les images, pas plus que les images ne commentent le texte, ce sont deux séries de séquences, à qui il arrive bien évidemment de se croiser, de se faire signe, mais qu’il serait inutilement fatigant d’essayer de confronter », indique Chris Marker dans Le dépays, un livre qui accompagne la sortie de son film.

 

Écrire la mémoire et l’histoire

« J’aurais passé ma vie à m’interroger sur la fonction du souvenir qui n’est pas le contraire de l’oubli, plutôt son envers. On ne se souvient pas, on réécrit la mémoire comme on réécrit l’histoire », lit Florence Delay. Sans soleil réécrit la mémoire et peut-être l’histoire, de voyages japonais et africains de Chris Marker. Le Japon et la Guinée Bissau qui ont pour point commun, selon le cinéaste, « d’être deux pôles extrêmes de survie. » Alors les images s’enchaînent, se répondent, questionnent, éclairent la réflexion et font naître, parfois, de nouvelles interrogations. 

Du Japon, on découvre les matsuri, les voyages en ferry, les journées harassantes, les gants blancs des conducteurs du bus, les métros qui innervent Tokyo que la voix-off décrit comme « une ville remplie de trains, cousue de fils électriques, [qui] montre ses veines ». Chris Marker évoque la passion des Japonais pour la lecture, leur art du graphisme, leur rapport ambivalent à la sexualité et à la mort, notamment par suicide. Sans soleil, dont le titre s’inspire de celui d’une oeuvre du compositeur russe Modeste Moussorgski, révèle à la fois la fragilité humaine, tantôt face au séisme tantôt face à la famine, mais aussi sa force, dans cette façon que les humains apparaissant à l’écran ont de danser sur un volcan. 

Chris Marker, cinéaste, écrivain, illustrateur, photographe, « bricoleur » comme il aimait se définir, est connu notamment pour son court-métrage La jetée. Il s’était déjà intéressé au Japon avant Sans soleil, dans le film Le Mystère Koumiko, tourné pendant les Jeux Olympiques de Tokyo de 1964.

 

Sans soleil (1983), un film réalisé par Chris Marker, disponible à l’achat dans une édition collector restaurée sur Potemkine, et en VOD sur la Cinetek

 

© 1983 Argos, film disponible sur LaCinetek