Un monument acoustique sur l’île Sado dans la préfecture de Niigata

L'artiste Terry Riley, réfugié au Japon pendant la pandémie, a laissé sur l'île une empreinte sonore conçue pour perdurer dans le temps.

22.12.2021

Ukawa Naohiro, président du studio de streaming en direct DOMMUNE, dirige le projet artistique LANDSCAPE MUZAK. Environ deux ans après le lancement du projet, ce premier monument acoustique a été inauguré à l’occasion du Sado Island Galaxy Art 2021 à Sado, dans la préfecture de Niigata, en septembre 2021.

Pour cette première édition mémorable, l’invité d’honneur était Terry Riley, l’un des fondateurs de la musique minimaliste et un maître de la musique contemporaine.

Contexte du projet LANDSCAPE MUZAK : comment ce monument acoustique conçu pour « durer 1 000 ans » a-t-il été créé ? L’organisateur du projet, Ukawa Naohiro, ainsi que Terry Riley et Miyamoto Sara, une disciple de Riley, ont participé à une discussion lors du “FRACTAL CAMP”, lequel s’est tenu dans le cadre du Sado Island Galaxy Art 2021, la veille du premier jour de cet événement.

Une bande-son pour une ville qui a touché le cœur des gens

Ukawa Naohiro (ci-après appelé « Ukawa ») : LANDSCAPE MUZAK, le tout dernier projet de DOMMUNE au Sado Island Galaxy Arts Festival est une performance en direct dans laquelle des musiciens du monde entier se rendent sur l’île de Sado et offrent une bande-son à la ville qui a touché leur cœur. Il s’agit d’un projet continu qui comprend des enregistrements en direct, puis du streaming, ainsi que la sculpture des différentes visions du monde des artistes par le biais de l’installation de monuments acoustiques sur toute l’île de Sado. J’ai demandé à Terry d’être le premier artiste de ce projet, et c’est pourquoi il est au Japon depuis déjà plus d’un an et demi.

Terry Riley (ci-après appelé « Terry ») : Je suis venu en visite en février 2020, et cela fait donc 21 mois.

Ukawa : Merci beaucoup, vraiment. Donc, tout d’abord, j’ai eu l’idée du concept de ce projet il y a deux ans. À ce moment-là, j’ai commencé à me dire que ce serait une bonne idée d’inviter Terry en tant que premier artiste pour LANDSCAPE MUZAK étant donné qu’à cette époque je connaissais déjà sa disciple, Miyamoto Sara ; nous sommes en contact permanent depuis maintenant plus de deux ans.

Miyamoto Sara (ci-après appelée « Sara ») : Merci pour cette merveilleuse opportunité. 

Ukawa : Ce projet à long terme démarre enfin avec les performances en direct au “FRACTAL CAMP” et la cérémonie d’inauguration du monument acoustique. Je voudrais donc prendre un moment pour revenir une fois de plus sur le projet. Terry, tu prévoyais initialement de partir en tournée, à commencer par New York, après ta visite à Sado en février 2020, n’est-ce pas ?

Terry : C’est exact. Après les États-Unis, je prévoyais de sillonner l’Europe. 

Ukawa : À cette époque, on commençait à découvrir des foyers de contagion de la COVID-19, l’infection se propageait à bord du bateau de croisière Diamond Princess, et le laxisme des mesures de contrôle de l’infection mises en place par le Japon faisait l’objet de critiques dans le monde entier. Étant donné la situation au Japon, nous nous demandions tous si c’était une bonne idée d’inviter Terry à venir inspecter les lieux. J’ai échangé de nombreux e-mails avec Terry, et il a fini par me dire « Si j’attrape le virus, ce sera le karma, alors ne t’inquiète pas ». Il a pris sa décision et est venu au Japon, d’un seul coup. Nous avons été profondément touchés par ces mots.

Terry : Je vois que tu t’en rappelles plutôt bien.

Ukawa : La forme du projet LANDSCAPE MUZAK aurait été totalement différente si Terry n’avait pas décidé de venir à Sado. Nous aurions peut-être été obligés d’aller de l’avant en faisant tout à distance, dans une situation dans laquelle il était impossible pour Terry de se rendre réellement au Japon. Terry avait 84 ans à l’époque et depuis, il a fêté son anniversaire deux fois ici au Japon. Au cours de cette période, nous avons compilé les vidéos que nous avons tournées au cours de son inspection, nous en avons fait un road movie, puis nous avons enregistré un spectacle en plein air. Nous avons créé un monument acoustique ensemble, et le projet a continué à avancer régulièrement. Ce qui m’a le plus impressionné, c’est qu’il n’aurait jamais cru que sa vie changerait à ce point à l’âge de 85 ans.

Terry : J’ai toujours le sentiment que de vivre au Japon en ce moment est une expérience vraiment miraculeuse.

Ukawa : Sans aucun doute. Je pense que le soutien de Mme Sara a également été très important.

Terry : Je lui en suis très reconnaissant ; sans son soutien, je n’aurais jamais pu m’habituer à la société japonaise et vivre normalement.

Ukawa : Puis-je te demander à quoi ressemble votre relation professeur-disciple ?

Sara : À l’origine, Terry m’a appris a chanter le râga, qui est un genre de musique classique indienne. J’ai pris des cours par appels vidéo alors que Terry vivait aux États-Unis et moi au Japon. Terry vivait au milieu des montagnes, et la connexion internet n’était pas très bonne. Nous avions parfois du mal à communiquer, mais je me suis quand même sentie désemparée lorsqu’il m’a dit qu’il ne pouvait pas continuer à enseigner de cette façon. Je pensais que ma vie consisterait en des voyages réguliers en Amérique pour prendre des cours avant de revenir au Japon.

Ukawa : Je suppose que tout a changé à cause de la pandémie et de notre projet. 

Sara : C’est exact. En réfléchissant à la manière de garantir la sécurité de Terry pendant la pandémie de COVID-19, je l’ai d’abord fait séjourner dans ma ville natale de Hokuto, dans la préfecture de Yamanashi, où mes parents avaient encore une maison qui était à l’origine pour ma grand-mère. J’ai couru toute l’année pour lui obtenir un visa à long terme, chose pour laquelle j’ai reçu beaucoup d’aide de la part du comité exécutif du festival d’art.

Ensuite, alors que je soutenais Terry dans sa vie quotidienne, j’ai commencé à comprendre comment la musique existe dans la vie de tous les jours et j’ai également commencé à la remarquer dans ma propre vie quotidienne. Il ne s’agit pas juste des chansons ; il m’a fait voir la façon dont la musique pouvait nous montrer comment affronter les divers vents contraires auxquels nous faisons face dans nos vies.

La performance en direct “WAKARIMASEN” a eu lieu dans le cadre du “FRACTAL CAMP”, lequel était un projet du “Sado Island Galaxy Art 2021” qui s'est tenu en septembre 2021.

Un monument acoustique « conçu pour durer 1 000 ans »

Ukawa : LANDSCAPE MUZAK est devenu un projet qui va changer la vie de Sara. Mais toi, Terry, que penses-tu de ce projet et de ses couches complexes ?

Terry : C’est un grand défi pour moi aussi. Bien entendu, j’avais déjà composé de la musique qui correspond à l’atmosphère d’un endroit (comme, par exemple, la galerie White Cube), mais c’était la première fois que je m’attaquais à un défi aussi ambitieux et à une telle échelle. J’ai vraiment beaucoup réfléchi à la création, au design et à l’appel de M. Ukawa à « penser à quelque chose qui perdurera pendant 1 000 ans ».

Les technologies modernes que nous utilisons tous les jours ne seront peut-être plus utilisées dans 1 000 ans. C’est pourquoi j’ai décidé de créer quelque chose sans me servir de la technologie. J’ai décidé d’utiliser des carillons, comme dans la chanson “WAKARIMASEN” que j’ai composée pour ce spectacle en direct. Il y a une installation d’un artiste nommé Doug Aitken qui se compose de 365 carillons à vent, et je me suis donc en partie inspiré de ça.

Ukawa : Étant donné que l’œuvre finale à installer est un monument sonore, eh bien, il existe des centaines de moyens d’émettre des sons. Parmi ces derniers, nous avons opté pour des carillons lorsque nous discutions du concept, car même au bout de 1 000 ans, la mélodie que Terry a offerte à Sado peut être jouée simplement en les touchant.

Ce que nous appelons les arts médiatiques, ou, plus simplement, la technologie, évolue jour après jour. Par exemple, nous aurions pu projeter un hologramme de Terry et le faire jouer. Toutefois, je me suis dit qu’il serait impossible qu’une telle technologie survive dans le même format et sur les mêmes appareils pendant 1 000 ans, et c’est pourquoi j’ai demandé à Terry de bien réfléchir à ce sujet.

À propos de la façon la plus simple de jouer de la musique. En d’autres termes, le son produit par une action humaine fondamentale, comme frapper, caresser, pleurer, cogner. Je pense que cette œuvre est structurée de sorte à utiliser des actions qui permettent à Terry de partager l’expérience qu’il a vécue en visitant Sado. Vous avez choisi le site du concentrateur flottant de Kitazawa en tant que lieu de l’installation. Peux-tu, s’il te plaît, nous expliquer pourquoi vous avez choisi cet endroit ? 

Terry : Quand j’ai vu cet endroit, il m’a fait pensé à des ruines au Mexique. Ma première impression a été que ça ressemblait plus à des ruines antiques qu’à une ancienne mine d’or ou un site de traitement des minerais et personnellement, j’aime penser à la vie des personnes qui étaient là autrefois ; et ce qui était important à leurs yeux. J’ai vraiment été attiré par cet endroit.

J’y ai également joué l’an dernier et je voulais installer le monument sonore à un endroit surplombant ce lieu. Au départ, je prévoyais de le placer sur la colline près de la cloche du temple, que j’ai également visité avec M. Ukawa. Toutefois, cet endroit présentait des problèmes de solidité du sol, et j’ai donc décidé d’opter pour la colline d’en face. Je pense cependant que c’est un endroit encore meilleur, car non seulement il donne sur la montagne et le concentrateur, lesquels font office d’arrière-plan, mais il se trouve également plus près de la mer.

Ukawa : J’ai entendu dire que tu avais trouvé des points communs entre Sado et la côte ouest des États-Unis, où tu vis. J’ai également vécu à San Francisco dans les années 1990. C’était une époque formidable, avant tout l’embourgeoisement. J’y ai vécu pendant trois ans et j’ai entendu parler de tous les mineurs qui affluaient dans la région à la recherche d’or dans les années 1850. Cela dit, quels autres points communs as-tu trouvé ? 

Terry : Eh bien, tout d’abord, le littoral. Le littoral de Sado est remarquablement similaire à celui de la Californie du Nord, où je vis. C’est juste au nord de San Francisco, mais Sado est aussi parfois assez similaire en termes de climat. De plus, comme tu l’as dit, il y a eu la période de la ruée vers l’or dans la Sierra Nevada dans les années 1850. Aussi, en ressentant ces liens topographiques et climatiques, et en jouant dans cette usine de traitement des minerais dans laquelle je pouvais sentir les vestiges du passé, j’ai ressenti un lien très puissant.

Une statue en pierre qui imite la main d'une personne. Le matériau utilisé est une pierre provenant d'Inde, le pays dans lequel Terry Riley a appris la philosophie de la musique.

Un reflet de l'environnement indigène de l'île de Sado

Ukawa : Comme tu peux le voir sur la photo, nous sommes en train de créer cet énorme monument ; une œuvre en trois dimensions réalisée par les mains de Terry. Cette statue en pierre a été construite en Chine, mais l’élément important est la pierre. Étant donné que Terry a appris la philosophie de la musique en Inde, j’ai choisi des pierres indiennes.

Terry : Je l’ignorais. Je suis vraiment surpris.

Ukawa : La raison pour laquelle j’ai décidé de réaliser ce projet de paysages sonores est qu’il y a quelque chose qui a vraiment attiré mon attention quand j’ai visité Sado avec Ikeda Tetsuo, professeur émérite à l’université de Niigata, avant l’inspection avec Terry. Je pense que c’est la première fois que je parle de ça à Terry et Sara, mais il y a beaucoup de pierres commémoratives d’animaux à Sado. Il n’y a pas de chasse à la baleine à Sado, mais on dirait que cette énorme baleine s’est échouée ici il y a quelques centaines d’années. Depuis lors, des baleines s’échouent toujours ici de temps en temps, et j’ai commencé à remarquer qu’il y avait plusieurs monuments commémoratifs de baleines à Sado. D’après ce que m’a dit le professeur, il en existe trois.

Il est intéressant de noter que ces mémoriaux indiquent clairement qui, dans chaque village, a reçu quelle partie de la baleine et combien de grammes. En d’autres termes, les baleines qui s’échouaient sur la plage et y mouraient étaient vues avec reconnaissance comme des bénédictions de la mer. Les habitants de la région se partageaient le corps de la baleine, comme source de vie, enrichissant ainsi leurs propres vies. Le détail de cette pratique est gravé sur les pierres et nous est parvenu. Je trouve que c’est vraiment remarquable, je veux dire, c’est comme si on avait pris des reçus, des comptes des ménages et le détail de la comptabilité du village, et que l’on avait gravé tout ça dans la pierre pour qu’il en reste encore une trace des centaines d’années plus tard. En gros, c’est ce qu’ils ont fait (rires). C’est vraiment une histoire incroyable, n’est-ce pas ?

Terry : C’est un point de vue très intéressant. 

Ukawa : Du coup, notre projet LANDSCAPE MUZAK porte sur l’environnement indigène de l’île de Sado, l’enregistrement des visites qu’a effectuées Terry dans chaque village, et la créativité qu’il y a trouvée. Ensuite, chez DOMMUNE, nous nous occupons de la production et des installations sur l’île Sado, formant ainsi une collaboration irremplaçable. Et son titre est devenu “WAKARIMASEN”. En d’autres termes, tout comme « je vais maintenant recevoir humblement » (itadakimasu) et « c’était délicieux » (gochisousama) qui existaient déjà il y a 300 ans, les sentiments d’« incompréhension » de Terry (wakarimasen) et leurs sons continueront à se répercuter et à trouver le chemin du cœur des gens dans 1 000 ans. C’est pourquoi j’ai opté pour l’idée d’un monument sonore, comme une sorte de mémorial.

Je pense qu’un autre aspect réside dans l’histoire de Terry lui-même, laquelle se trouve à l’origine de ce projet et perdurera dans ce village. Ainsi, Terry est venu à Sado en dépit de la pandémie de COVID-19 et a découvert l’île. Toutefois, en raison de l’augmentation des infections dans son pays d’origine, il n’a pas pu quitter le Japon et a décidé de s’y installer. De plus, les sons qui sont nés des relations qu’il a nouées ici, au Japon, perdureront pendant 1 000 ou 2 000 ans. Je serais très heureux si tout le monde pouvait vraiment comprendre et vivre le fait que cette œuvre restera installée sur l’île de Sado pendant une durée aussi longue et mythique. L’inauguration aura lieu après-demain, tandis que demain, il y a aura la performance en direct de Terry dont il a parlé aujourd’hui, et j’espère donc que vous pourrez vivre tout ça.

Terry : Merci beaucoup. C’est magnifique. Pour ajouter un peu à ce concept de “WAKARIMASEN”, je veux transmettre l’idée que nous ne tirons pas des conclusions unilatérales sur la nature ou la spiritualité, mais plutôt que nous continuons à apprendre humblement, en nous disant « je ne comprends pas » (wakarimasen). J’ai choisi le titre de l’œuvre avec le désir de toujours avoir ce sentiment.

Ukawa : C’est merveilleux ! Si itadakimasu et gochisousama représentent la gratitude, wakarimasen est alors un humble sentiment d’apprentissage, et il perdurera pendant 1 000 ans. Terry, merci beaucoup pour ta collaboration au cours de ces 21 derniers mois.

Sara : Je pense qu’il est tout à fait logique pour M. Ukawa de créer un tel projet, à une époque où il semble naturel que tout soit éphémère. Merci beaucoup.

Ukawa : Non, merci à toi. Pour finir, la raison pour laquelle j’ai choisi la pierre est simplement que je voulais qu’elle perdure pendant 1 000 ans. J’adore aussi les arts médiatiques (rires), mais ce projet n’aurait aucun sens si nous le construisions en termes de technologies qui peuvent être consommées. La pierre est un support très basique. Comme l’a dit Sara, il y a trop de supports qui sont éphémères, en particulier sur les réseaux sociaux. Tout est rapporté par les journaux télévisés, mais le flux ne fait que s’accélérer. Je cherchais un support absolument basique dans cette société de l’information à la chaîne et j’ai opté pour la pierre. Cette fois-ci, je me suis concentré sur l’art et les contes populaires gravés dans la pierre, et comme ce conte-ci est encore une histoire, je pense qu’il se transformera en mythe avec le temps.

Le monument acoustique “WAKARIMASEN” est installé à proximité du concentrateur flottant de Kitazawa dans la région d'Aikawa/de Kitazawa de l'île Sado.

La performance en direct “WAKARIMASEN” de Terry Riley et Miyamoto Sara peut être visionnée via une diffusion d'archive payante.

Période de diffusion : du 01/11/2021 au 31/12/2021

Prix : 3000 JPY

Contenus de la distribution :

・DOMMUNE présente le PROJET SADO N° 1 “LANDSCAPE MUZAK”. Performance en direct “WAKARIMASEN” de Terry Riley avec Kodo et Salyu.

・Haino Keiji

・OLAibi

・Kakudo Mami

・solo solo solo

・Oni Taiko Performance

・Oyasumi Mood Mune (MOODMAN+YOSHIROTTEN+KANATAN) etc.

<Billets>

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