Kishio Suga et le papier

En 2022, l'artiste de la mouvance Mono-ha est mis à l'honneur par une exposition et par la première publication en anglais de ses essais.

03.02.2022

TexteMiranda Remington

Kishio Suga, “Untitled” 1981. Blum & Poe Gallery.

Les sculptures et installations de Kishio Suga se font discrètes, inertes. Après les avoir observé un moment, l’on peut pourtant remarquer qu’elles ont le pouvoir de donner forme, de libérer des éléments de l’environnement non perceptibles jusqu’alors.

Du 15 janvier au 26 février 2022, la galerie Blum & Poe propose à Los Angeles une exposition dédiée à l’œuvre sur papier de Kishio Suga — permettant de plonger dans la pratique de l’artiste à travers des pièces rarement exposées hors du Japon —, mettant en évidence sa passion pour l’excellence à travers ce médium clé de l’histoire de l’art. Figure incontournable du Mono-ha, mouvance minimaliste menée par des artistes japonais et coréens tout au long des années 1960 et 1970, l’artiste accorde une importance toute particulière à la matérialité et ce, dans des œuvres qui s’immiscent dans le mince espace entre le naturel et l’artificiel. Ses grandes installations et ses assemblages muraux associent de la pierre, des plaques d’acier, du verre, du coton, du cuir, du fil de fer et autres matériaux éphémères. Ici, le papier fait partie intégrante d’une nouvelle matière à même de relier les conventions sémiotiques.

 

Une philosophie de la matière

L’artiste japonais originaire de la Préfecture d’Iwate et aujourd’hui installé à Ito, Shizuoka, est célèbre pour ses sculptures et installations. Il a suivi des études à la Tama Art University avant de rencontrer un groupe d’artistes parmi lesquels figurent Lee Ufan et Nobuo Sekine. Ils fondent ensemble le mouvement dit du Mono-ha (que l’on peut traduire littéralement « l’école des choses ».)

Influencé par les textes de Kitaro Nishida et Kei Nishitani, mais également par Jean Baudrillard et Gilles Deleuze, Nāgārjuna et Vasubandhu, Kishio Suga a développé sa propre philosophie de la matière et de l’espace articulée autour d’une succession de mots : « l’interdépendance » (izon) de toutes les « choses » (mono) étant « laissée » (hochi) dans les « situations » (jokyo) qui les unissent ». Ses installations in-situ ébranlent nos certitudes quant à la manière dont les choses devraient être, permettant aux éléments de s’exprimer indépendamment au sein d’un espace.

 

En amont de la toile de fond

Les œuvres sur papier de Kishio Suga ont accompagné ses réflexions au fil des décennies. Elles mettent en lumière nos modes de comportement, les projettent sur les surfaces. L’étude des textures donne des éléments contextuels, peut renvoyer à des histoires spécifiques, telle celle du washi au Japon.

Ses interventions géométriques rendent tangibles les déséquilibres dans un système de formes qui façonnent notre monde moderne — un peu, comme le dit l’artiste, à la manière des plans d’architecture ne rendant pas compte de notre rapport à l’échelle et à la capacité de résistance des constructions associées.

 

L’exposition Kishio Suga — Paper (2022) est à découvrir à la galerie Blum & Poe à Los Angeles du 15 janvier au 26 février 2022.

En parallèle de l’exposition organisée par Blum & Poe, l’ouvrage Kishio Suga: Writings, vol. 1, 1969–1979 — une première version anglaise de ses essais, sous la forme d’une trilogie — est publié.

Kishio Suga, “Untitled” 1975. Blum & Poe Gallery.

Kishio Suga, “Corner at Phases” 1975. Blum & Poe Gallery.

Kishio Suga, “Elements of Dwelling - (7)” 1991. Blum & Poe Gallery.

Kishio Suga, “Territory of Laterals and Diagonals (Rocks)”, 1986. Blum & Poe Gallery.

Vue de l'exposition “Kishio Suga — Paper”. Blum & Poe Gallery.

Vue de l'exposition “Kishio Suga — Paper”. Blum & Poe Gallery.

“Kishio Suga: Writings, vol. 1, 1969–1979”, Blum & Poe Gallery.