La photographie tactile de Masahisa Fukase

La série “Sasuke”, centrée autour de son chat, dresse des parallèles entre sa façon de communiquer et celle du photographe.

07.07.2021

TexteRebecca Zissmann

Extrait de Masahisa Fukase, “Sasuke” (Atelier EXB, 2021) © Archives Masahisa Fukase

Ce que l’on connait de Masahisa Fukase n’est bien souvent que sa part d’ombre, longuement distillée dans sa série fondamentale Ravens. Pourtant, le photographe a aussi produit des clichés plus légers voire comiques, avec son chat pour sujet principal. Une nouvelle édition de la série Sasuke publiée par l’Atelier EXB révèle ces photographies méconnues qui en disent long sur les obsessions de Fukase.

Né en 1934 à Hokkaido, Masahisa Fukase grandit au sein du studio de photographie familial, qu’il est appelé à reprendre. Il s’installe à la place à Tokyo où il se lance dans la photographie commerciale avant de publier ses premières séries artistiques dans les années 1970. Célèbre pour son travail en noir et blanc, il a aussi expérimenté avec la couleur, le collage et le montage.

 

Une langue communicative

Masahisa Fukase a toujours vécu avec des chats. Probablement car ils se faisaient plus volontiers modèles que les humains. Nombreuses sont les connaissances du photographe à s’en être éloignées, victimes de son désir de capturer leurs moindres faits et gestes.

En 1977, il recueille un petit chaton auquel il donne le nom d’un célèbre ninja. Malheureusement, l’animal s’enfuit. Fukase placarde alors des affiches de recherche dans toute la ville et une dame lui apporte finalement un chaton, en rien semblable au premier. Qu’importe, il le garde à ses côtés et lui redonne le nom de Sasuke.

Tout au long de l’été, Fukase s’amuse à prendre le chat en photo et va bientôt se concentrer sur ses bâillements (akubi en japonais) qui révèlent une langue proéminente. Cet organe, qui sert au chat à communiquer autrement que par le langage, est semblable au medium photographique et fait écho à la volonté artistique du photographe qualifié de “tactile” par les critiques.

« Il ne se contente pas de prendre des photos avec un sens visuel », explique Tomo Kosuga, directeur des archives de Masahisa Fukase dans une interview à Pen. « C’est un photographe avec un sens du toucher. C’est l’une de ses particularités car lorsque l’on observe ses images, elles donnent une sensation de picotement (chiku-chiku en japonais). »

 

Photographier les extrêmes

Fukase, qui toute sa vie cherchera le moyen de se faire apparaître dans ses clichés même si uniquement de manière figurative, continue au-delà de la série Sasuke à questionner la façon dont il peut entrer en relation avec l’autre par la photographie.

Quelques années après Sasuke, il met à l’épreuve la sensation physique que peuvent donner ses clichés en y plantant des punaises, fils et autres matériaux dans la série Game. Puis, en 1991 dans Berobero (le bruit de la langue en japonais), il se représente directement à l’image touchant du bout de la langue celle d’inconnus rencontrés dans des bars. Une obsession pour cet organe tactile qui peut surprendre. « Il aimait les marges et non les choses banales », confirme Tomo Kosuga. « Ce qui lui plaisait, c’étaient les extrêmes (kyokutan en japonais) ».

Loin d’une volonté délibérée de choquer, les photographies de Masahisa Fukase sont vibrantes d’authenticité et révèlent son côté fantasque. « Ses images sont sombres, dérangeantes et aussi amusantes », conclut Tomo Kosuga. « Elles font ressentir bien des choses mais expriment surtout de manière très honnête ce qu’il ressentait au moment où il les a prises ».

 

Sasuke (2021), un livre de photographies de Masahisa Fukase édité par Atelier EXB.

Extrait de Masahisa Fukase, “Sasuke” (Atelier EXB, 2021) © Archives Masahisa Fukase

Extrait de Masahisa Fukase, “Sasuke” (Atelier EXB, 2021) © Archives Masahisa Fukase

Extrait de Masahisa Fukase, “Sasuke” (Atelier EXB, 2021) © Archives Masahisa Fukase

Couverture de Masahisa Fukase, “Sasuke” (Atelier EXB, 2021) © Archives Masahisa Fukase