À Hiroshima et Nagasaki, les 49 citrouilles de la terreur
Dans la vidéo “Pumpkins” de Takashi Arai, c’est à travers l’ironie que l'extrême violence qui a frappé le Japon en 1945 est questionnée.
“49 Pumpkins” (2014) - Takashi Arai
Les 6 et 9 août 1945, l’utilisation de la bombe A à Hiroshima et Nagasaki fait basculer le monde. La rumeur dit qu’un an après, 49 citrouilles auraient mystérieusement été récoltées dans un champ, à Hiroshima. Ce récit fait écho à une réalité, le largage de 49 bombes nommées pumpkins (citrouilles) par l’armée américaine, afin de préparer l’attaque finale. Ces bombes étaient une réplique très proche, mais non-nucléaire, de la bombe au plutonium — et ont été appelées ainsi en raison de leur forme. À l’automne 2014, l’artiste japonais Takashi Arai a profité d’un programme de résidence au Artpace de San Antonio (Texas), pour réaliser le film 49 Pumpkins et utiliser de réelles citrouilles, larguées depuis les airs.
Le photographe et vidéaste, né en 1978 à Kawasaki, s’intéresse à l’origine des choses, pour interroger. Son parcours l’a dans un premier temps amené à étudier la biologie — des études scientifiques qui influencent son travail, et notamment sa maîtrise d’une technique photographique vieille de près de deux siècles, le daguerréotype. Ses œuvres font partie des collections du Museum of Fine Arts de Boston, du National Museum of Modern Art à Tokyo, ou encore du Musée Guimet de Paris.
Personnifier un raid aérien
Si l’épisode des citrouilles a attiré son attention, c’est notamment car depuis plus de 80 ans, deux points de vue s’opposent à travers le monde : certains considèrent que l’utilisation de la bombe A était utile et nécessaire, quand l’autre camp juge qu’il s’agit d’un crime contre l’humanité.
La vidéo 49 Pumpkins — 11,12 min —, met en scène l’opération de largage et propose de longues séquences dédiées à l’atterrissage de chaque citrouille. La dimension symbolique de cette cucurbitacée, associée — notamment aux États-Unis — à la fête d’Halloween, interroge immédiatement. Le Dia de Muertos (jour des morts) est plus important dans la culture mexicaine, et donc au sud des États-Unis, mais l’artiste a tout de même tenu à inviter de jeunes garçons et filles latinos à participer à la vidéo. On les voit ainsi jouer à jeter des citrouilles, ce qui permet de « personnifier un raid aérien, et m’a rappelé que j’ai joué avec un ami imitant des avions de chasse, des bombardiers et des chars quand j’avais six ou sept ans », nous confie Takashi Arai.
Des armes japonaises aux noms sinistres
Outre le modèle baptisé pumpkin, chaque bombe américaine avait son propre nom. Une pratique qui apparaît surprenante, mais qui est devenue commune à cette période, et pas seulement du côté américain. « J’ai recherché les noms des armes japonaises, mais ils sonnaient tous sinistres, empreints de fanatisme, jamais humoristiques ou ironiques comme celles américaines », développe l’artiste. Dans la vidéo, au moment du largage, chaque citrouille est baptisée, non pas avec les noms initiaux retrouvés dans les archives, mais de manière libre par les habitants de San Antonio qui ont aidé à les collecter. Les noms choisis sont Scarface, Kanye West… « L’ironie et le sens de l’humour sont des outils pour attirer le regard du grand public », insiste Takashi Arai.
Dans le cadre de ce projet, l’artiste a souhaité consacrer un moment à « expliquer ses intentions aux donateurs potentiels. » Le contexte et le thème de ce travail demeurent sensibles, et l’aide de la population et du Devil Dog Squadron (en charge de la préservation du bombardier B-25) l’ont particulièrement touché.
Pour aller plus loin dans le travail de l’artiste, la série Tomorrow’s History, entamée en 2016, présente des photographies de la jeunesse japonaise, âgée de 14 à 17 ans, avec pour question centrale : « Peut-on prédire le futur ? »
49 Pumpkins (2014) une vidéo de Takashi Arai, à découvrir sur son site internet.
“49 Pumpkins” (2014) - Takashi Arai
“49 Pumpkins” (2014) - Takashi Arai
“49 Pumpkins” (2014) - Takashi Arai
LES PLUS POPULAIRES
-
Pieces of Japan, l’artisanat d’exception à portée de tous
Cette boutique fait vivre les métiers d’art japonais à travers une sélection d’objets traditionnels remis au goût du jour et des formations.
-
Namio Harukawa, maître du dessin SM
“Garden of Domina” offre une plongée dans l’univers d'une icône de l'“oshiri”, dont l’œuvre a aujourd’hui atteint le monde entier.
-
Une maison compacte sans cloisons intérieures
Dans la F-House, située au nord d'Osaka, les pièces ne sont pas délimitées par des murs mais par des rideaux qui laissent entrer la lumière.
-
Une série de yakuza entre Londres et Tokyo
Cette série policière coproduite par la BBC et Netflix, suit un inspecteur à la recherche de son frère, responsable d’une guerre de gangs.
-
Cuisiner les nuages, la proposition aérienne de Ryoko Sekiguchi
Dans “Le nuage, dix façons de le préparer”, l'écrivaine réhabilite un terme ancien désignant divers ingrédients et le décline en recettes.