Lin Delpierre, capturer Kyoto et construire un récit
En 1997, dans le cadre d’une résidence à la Villa Kujoyama, le photographe français réalisait la série “Aux Interstices des Cibles”.

© Lin Delpierre
Lors d’un séjour de quatre mois à la Villa Kujoyama à Kyoto — fondée sur les hauteurs de la ville sur proposition du poète Paul Claudel, ancien ambassadeur de France au Japon —, le photographe Lin Delpierre, né en 1962 à Bayonne, se donne pour mission d’« attraper du réel ». Pour ce faire, il décide de « photographier Kyoto à travers trois machines de vision ».
L’opportunité offerte par la résidence, qu’il juge propice au travail photographique, une pratique « claustrale », l’amène à passer de longues heures dans sa chambre. « Sur la télé du salon passaient en continu des films d’Ozu, de Godard, des feuilletons japonais sentimentaux qui alimentaient de larmes les capillarités phosphorescentes du paysage au loin. Plongé artificiellement dans l’intimité de toutes les héroïnes de soap opéra, et me nourrissant des leurres de celles qui les regardent, j’ai dévoyé le programme narratif en y greffant mes propres fictions, mes obsessions, mes désirs, mon inquiétude et jusqu’à mes déplorations », explique le photographe à Pen. Pour réaliser son ambition, la première étape fut d’ordre technique, nécessitant l’acquisition de matériel.
Monter un récit
L’artiste précise ainsi : « le triptyque s’articule de la manière suivante : le carré à gauche (fenêtre du lunaire Hasselblad 501) obtenu à partir d’un positif de type ektas ; au centre, une vue en couleur (d’après négatif) à la chambre 4X5 (paysage urbain, ou interstitiel, qui s’accorde à l’état subjectif d’une passante ou d’un personnage, d’une instance extérieure qui n’est pas celle du photographe) et, enfin, sur le panneau de droite, le fulgurant rectangle noir et blanc du Leica m3. Nous obtenons des modulations de temporalités propices à une narration. » La composition de ces récits passe alors par des punaises, qui fixent au mur les épreuves.Lin Delpierre « retranche, ajoute, appareille les éléments selon la résonance du matériau, sa potentialité narrative, [je] composais, comme on fait un poème, un drame qui n’était qu’affleurement de visages, de figures, et de choses. »
Ces triptyques présentent des urbanités, des paysages, des portraits, des natures mortes, des scènes de vie sociale, associent noir et blanc et couleur. À travers ces trois plans de coupe, Lin Delpierre se veut « un narrateur qui renoue avec sa mémoire. » Il assimile son travail à celui d’un « monteur suturant des chutes jusqu’à la figuration d’un drame… Par attraction, aimantation, une forme se génère à partir de multiples lectures.. »
L’artiste insiste sur les possibilités offertes par les outils techniques utilisés, les possibilités de chaque machine « plasticité, coupe, frontalité, faux-fuyants : la chambre grand format exalte des qualités descriptives jusqu’aux profondeurs du plan ; le Leica entaille, happe, ou au contraire féminise la surface irradiée ; et le moyen format, avec sa teneur suspensive, complète le dispositif. »
Au regard du processus mis en place, ce montage doit être lu comme une ligne de temps, « à la surface de laquelle se cristallise la pensée d’un personnage (qui n’est pas forcément dans le cadre) ».
Pour découvrir un autre aspect du travail de Lin Delpierre, en 2020 il publiait avec l’auteur François Laut l’ouvrage La Voiture du paysage, dans lequel l’œuvre du peintre Gustave Courbet était confrontée à son jura natal.
Aux Interstices des Cibles (1997), une série photographique par Lin Delpierre à retrouver sur son site internet.

© Lin Delpierre

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