La métamorphose du sakazuki
Nihonshu #03
Les sakazuki, ces coupelles dans lesquelles est servi le nihonshu, ont connu ces dernières années une évolution parallèle à celle des sakés eux-mêmes. Ryota Aoki, un jeune céramiste, brise petit à petit les conventions qui entourent leur fabrication.
Les mains de l’artiste, Ryota Aoki. Il fait tourner le tour dans son atelier, où il écoute du rap à plein volume.
«Quelle coupelle préférez-vous ? » Dans un izakaya, il est rare qu’on vous présente un coffret contenant de nombreuses coupelles en vous demandant de choisir. Pourtant, le choix de la taille et de la forme, ainsi que les sensations procurées par le toucher du sakazuki font partie du plaisir de déguster un saké, au même titre que le nihonshu choisi et sa température. En plus de permettre de boire du saké, les sakazuki sont, à l’image des bols dans lesquels se déguste le thé , une vaisselle représentant la personnalité de l’individu, et apportent une dimension toute particulière au temps passé à la dégustation.
Or, s’il y a bien des sakazuki qui permettent d’apprécier pleinement le nihonshu, ce sont ceux réalisés par le céramiste Ryota Aoki. Des pièces traditionnelles utilisées pour la cérémonie du thé à celles plus modernes représentant des scènes artistiques, les œuvres de ce céramiste attirent des amateurs et des collectionneurs de poteries venus du monde entier. Ces dernières années, Ryota s’est particulièrement fait remarquer en réalisant des verres à vin et des flûtes à champagne, dont les formes sont généralement considérées comme quasiment impossibles à recréer en poterie. Nous nous sommes rendus dans la ville de Toki, dans la préfecture de Gifu, au sud-ouest de Tokyo, pour découvrir la vaisselle que l’artiste façonne pour accompagner le nihonshu et les coulisses de son processus de fabrication.
Né en 1978 dans la préfecture de Toyama, dans le nord-ouest du pays, il a créé son atelier dans la ville de Toki. L'artiste parcourt le monde pour visiter des musées et des fours, s'imprègne de formes et de techniques différentes et expérimente en permanence dans son atelier. www.ryotaaoki.com
Une fois à l’intérieur de l’atelier, l’œil du visiteur est attiré par les nombreuses pièces d’essai qui recouvrent les murs : d’élégantes porcelaines blanches moulées, de la vaisselle recouverte d’émail or et platine, brillant comme des pierres précieuses multicolores, et des pièces rappelant la terre brute des montagnes, revêtues d’un émail à l’aspect naturel puissant. Il ne fait aucun doute que nous venons de pénétrer dans le berceau des œuvres diverses et variées de Ryota Aoki.
« Quatorze années se sont écoulées depuis la réalisation de ma première pièce d’essai. Je dois en être à plus de cent mille maintenant. Que ce soit avec de la terre ou de l’argile à porcelaine, ou avec une terre à forte teneur en fer, l’élaboration et le rendu d’une pièce ne seront jamais identiques, même en appliquant un émail similaire. L’épaisseur et la composition de l’émail reposent sur des mesures minutieuses, c’est pourquoi l’élaboration des pièces d’essai ne peut pas être déléguée. En réalité, je n’aime pas trop ça, mais je réalise un gros travail en amont », explique Ryota en souriant.
Parmi les œuvres de Ryota, de nombreuses pièces avant-gardistes arborent des émaux aux teintes dorée et platine.
Les murs sont recouverts de pièces d’essai sur lesquelles l’artiste teste différents émaux.
Des étagères remplies de poteries sans émail.
Avant-gardiste et geek à la fois
L’artiste s’autoqualifie de « geek des matériaux ». En effet, Ryota aime essayer toutes sortes de matières, que ce soit de la terre brute récupérée dans les montagnes ou de la terre achetée dans une boutique spécialisée. Pour le jeune céramiste, la poterie constitue « la rencontre de la terre et de l’émail pour donner naissance à une nouvelle œuvre … Je souhaite réaliser des pièces inédites. Après l’Université, j’ai commencé à étudier la poterie à l’école professionnelle de Tajimi. À cette époque, j’étais passionné par les céramiques assez austères, comme les céramiques Shino et Kiseto. Mais mes camarades de promotion, dont la plupart sortaient d’écoles d’art, produisaient des pièces comme je n’en avais jamais vu auparavant. C’est alors que j’ai réalisé que l’art de la poterie n’avait pas de limites et qu’imiter les poteries classiques était un peu comme faire du karaoké. Plutôt que de reprendre une vieille chanson, j’ai fini par comprendre que créer des poteries revient à inventer sa propre musique et ses paroles. »
Se préparant à devenir entrepreneur après l’Université, l’artiste a vite compris la nécessité de développer des techniques artistiques originales afin de réaliser des poteries qui sortent de l’ordinaire. C’est ainsi que Ryota Aoki s’est lancé dans la fabrication de pièces d’essai. En outre, il est parvenu à créer des formes cosmopolites grâce à ses sensations aiguisées par les nombreuses visites de fours et de musées du monde entier. Ryota insiste sur le fait que ce sont les artisans potiers, à commencer par ceux du clan Toki de la province de Mino, désireux d’exprimer le sens du design des maîtres de thé avant-gardistes de l’époque de Sen no Rikyu, qui sont à l’origine de l’éclosion de la culture japonaise de la poterie. Souvent qualifié lui-même d’« avant-gardiste » en raison de l’apparence et du style de ses créations, héritier des techniques et de l’esprit de ces potiers qui souhaitaient transmettre cette culture aux jeunes générations, Ryota Aoki doit sûrement recevoir cette appellation comme un compliment.
Formes, couleurs, textures. Les pièces avant-gardistes réalisées dans la liberté la plus totale attirent l'attention de nombreux collectionneurs.
Améliorer les sensations
De la série de poteries aux éclats métalliques, recouvertes d’émail, aux pièces uniques dont les bords ont été parés d’un émail ferrugineux ou encore celles en terre dont l’aspect brut a été conservé, toutes les œuvres de l’artiste sont empreintes d’une personnalité différente.
« L’épaisseur des bords des sakazuki en terre n’est pas uniforme lorsque je les moule sur le tour, certains endroits sont plus épais que d’autres et il est très intéressant de chercher l’endroit où il est le plus agréable de placer ses lèvres pour boire. La bonne prise en main de l’objet est également importante. Les sensations au toucher d’un glacis ferreux sont complètement différentes de celles d’un émail de platine. Il existe forcément une forme agréable en main et un émail dont la texture correspondra aux attentes de chaque individu. C’est pourquoi j’aimerais que les gens choisissent les œuvres qui leur plaisent », commente l’artiste, également amateur de nihonshu. Contrairement aux produits industriels uniformes, chaque jour, Ryota Aoki marie d’innombrables matériaux avec des émaux et expérimente avec habileté de nouveaux matériaux pour éveiller nos cinq sens.
NIHONSHU —
#01: L’évolution du sake >
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#03: La métamorphose du sakazuki
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