À l’Est d’Islay…
Le whisky à l’heure nipponne #02
La distillerie d’Akkeshi, récemment ouverte sur la côte est de Hokkaidô, éveille d’ardentes attentes.
Les Marais de Bekanbeushi, à proximité de la distillerie d’Akkeshi. La brume qui s’accroche à la forêt est appelée Umigiri (« brume de mer »), du fait de l’influence maritime sur la température de l’air humide.
Il faut encore une heure de voiture depuis le centre de Kushiro pour atteindre Akkeshi, port de pêche ouvert sur le Pacifique, à l’extrême est de l’île de Hokkaidô, la plus septentrionale de l’archipel nippon. Ce n’est qu’en 2014 qu’est née l’idée de construire ici une distillerie, et l’entreprise qui allait l’ouvrir n’était pas spécialement connue pour produire des boissons alcoolisées… Sur le moment, les premières réactions furent pour le moins dubitatives, inquiètes même. Quelques années plus tard, les connaisseurs ne cachent plus leurs espoirs : « cette distillerie pourrait fort bien devenir le nouveau “lieu saint” du whisky japonais… »
Un rivage naturel préservé, où les rencontres avec les daims sont fréquentes.
Mais pas de précipitation pour autant. La distillerie d’Akkeshi ne tourne à plein régime que depuis novembre 2016. Un seul produit est sorti de son chai pour l’instant, un Newborn d’à peine 5 à 14 mois de maturation. Alors, qu’est-ce qui fait tressaillir à ce point les papilles des amateurs de whisky ? La première clé de ce mystère réside incontestablement dans les conditions météorologiques.
« Le whisky requiert un climat frais et humide, et des variations de température franches et stables sur l’année. C’est là que la localisation de la distillerie à Akkeshi prend sa pleine valeur. Elle est située au cœur d’immenses marécages, à proximité de l’océan, avec des températures estivales qui peuvent atteindre 25°C et des hivers rigoureux. Ici les températures descendent facilement jusqu’à -10°C. Pour ce qui est des conditions climatiques, notre situation est vraiment idéale. » détaille ainsi le directeur de la distillerie, Masayuki Tatsuzaki. Si rencontrer des conditions aussi favorables n’est pas courant, la chose n’est pas non plus unique. Alors, pourquoi Akkeshi, en définitive ?
La distillerie, nichée au milieu des marécages.
L’élément déterminant tient dans l’idéal du whisky visé par la distillerie. La société propriétaire de la distillerie d’Akkeshi, Kenten Co.,Ltd., est spécialisée dans l’importation et la vente d’ingrédients alimentaires. C’est il y a une vingtaine d’années, dans un bar, que Keiichi Toita, le président de la compagnie, fit l’une de ces expériences qui changent à jamais la vie d’un amateur, devant un verre d’Islay, l’île écossaise qui fait figure de terre sainte du whisky. Un Ardbeg 17 ans d’âge. « Un Islay, c’est une puissance sauvage et fumée, des parfums lacustres. Et je me suis dit : ça, un jour, je le ferai. De mes mains. Au Japon… »
« Mettons de côté la maturation, de façon générale, tout le monde vous dira que l’étape essentielle dans l’élaboration du whisky est la distillation. Or, je pense, et nous pensons ici que le goût se décide lors du mashing, la saccharification. C’est le degré d’attention porté à cette étape qui fait aller le whisky dans une direction ou dans une autre ». Le whisky s’élabore en quatre grandes étapes, qui sont dans l’ordre : la saccharification, la fermentation, la distillation et la maturation. Le mashing, c’est le processus par lequel l’orge maltée et broyée est mouillée d’eau chaude, de façon à ce que les sucres se dissolvent dans le mélange. Pourquoi la distillerie d’Akkeshi accorde-t-elle une signification particulière à cette étape ? « Comme dit le proverbe : “Quand tout ce que l’homme pouvait faire est fait, on attend que le destin parle”. Le destin, ici, prend la voix de la fermentation, laquelle est d’une sensibilité extrême à la moindre variation de son environnement. Ce qui est dans les mains de l’humain, en revanche, c’est le mashing. On ne s’autorise aucune concession sur le matériel et on est entièrement focalisés sur le dépassement, voilà à mon sens ce qui donne naissance à un whisky d’exception. » Une chose est sûre, à la distillerie d’Akkeshi, on voit l’avenir en grand. De l’orge cultivée à Akkeshi, séchée à la tourbe extraite à Akkeshi, une maturation en fûts de chêne d’Akkeshi. Ceci n’est encore qu’un rêve, mais les premiers pas pour le réaliser sont engagés. Le jour où le monde dégustera, ébahi, un single malt 100% « made in Akkeshi » approche.
Le mash tun, dans lequel est réalisée l’opération du mashing.
Un single malt sorti de la distillerie Akkeshi : des parfums tourbés, franchement iodés.
Le goût caractéristique des Islay malts réside avant tout dans une eau de source qui a traversé des couches de tourbe avant de surgir du sein de la terre. Au Japon, la tourbe ne se trouve que dans les terres marécageuses de Hokkaidô, ou presque. Une eau abondante et pure, et de la tourbe… Avec ces cartes en main, Toita s’est mis en route, et celle-ci s’est arrêtée à Akkeshi. Mais les conditions climatiques n’expliquent pas tout, et si tout le monde a les yeux tournés vers la distillerie d’Akkeshi, il y a à cela une autre raison. « Nous fabriquerons un whisky dans la pure tradition écossaise ». C’est le second point-clé. Les équipements viennent de chez Forsiths, une maison illustre à laquelle les plus célèbres distilleries d’Écosse font confiance depuis des générations. Et pas seulement pour les alambics. Pour le mash tun aussi, et jusqu’au washback, utilisé pour la prise de fermentation. « Les équipements peuvent être les meilleurs du monde, c’est tout de même nous qui les faisons fonctionner », insiste Tatsuzaki, avant de faire cette réponse inattendue lorsqu’on lui demande quelle est l’étape à laquelle il fait particulièrement attention :
Les new pots élaborés à ce jour, sur les étagères du salon des visiteurs.
M. Katsuyuki Tatsuzaki, directeur de la distillerie. Il était précédemment responsable qualité et développement pour un grand fabricant de produits laitiers.
Le whisky à l’heure nipponne —
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