De ma cuisine à la vôtre – Mory Sacko
Au menu de son restaurant Mosuke, un dialogue de saveurs entre Japon et Afrique de l'Ouest imprègne des recettes issues des deux cultures.
Volaille culoiselle comme un Yassa, crème de riz, oignons confits et “sudachi” © Quentin Tourbez
Mory Sacko a pris ses quartiers à Paris, dans le 14ème arrondissement. Il y a établi son restaurant Mosuke en 2020, après s’être distingué dans la populaire émission Top Chef un an plus tôt. Les débuts sont difficiles, du fait de la pandémie de Covid-19, mais l’établissement décroche très vite une première étoile au guide Michelin en 2021. Une reconnaissance pour cette cuisine gastronomique audacieuse, attachée au dialogue entre trois cultures, celles de la France, de l’Afrique de l’Ouest et du Japon.
Mosuke est la contraction du nom du chef et de celui de Yasuke, un ancien esclave africain devenu samouraï et membre du cercle rapproché de Nobunaga Oda, l’un des réunificateurs du Japon. « Une belle histoire que j’ai trouvée fantastique car c’est la personnification de ce que je veux faire au restaurant », nous explique Mory Sacko. Le chef est féru de culture japonaise depuis son enfance, passée à regarder des anime et lire des manga, où la nourriture occupe une place prépondérante.
Un apprentissage auprès des brigades japonaises dans les palaces parisiens
Mory Sacko garde d’ailleurs un souvenir impérissable de la dégustation de son premier sushi. Culturellement, on ne mange pas de poisson cru chez lui. Son père est malien et sa mère, ancienne cuisinière, est née en Côte d’Ivoire et a grandi au Sénégal. Le sushi de daurade, ses saveurs et sa texture inconnues éveillent donc la curiosité du jeune homme.
C’est pourtant vers la haute gastronomie française qu’il s’oriente pour sa formation, rejoignant l’équipe du chef Hans Zahner au Royal Monceau à l’âge de 19 ans. Le palace accueille alors une antenne de Matsuhisa, la célèbre enseigne du chef Nobu Matsuhisa. Mory Sacko y découvre les rudiments de la cuisine japonaise comme la façon d’obtenir un bouillon dashi ou l’utilisation du miso. Plus tard, aux côtés de Thierry Marx et de sa brigade majoritairement japonaise au Mandarin Oriental, il peaufine son approche du dashi et s’initie aux techniques nippones comme la cuisson au charbon binchotan.
Des produits appréciés pour leur saveur umami
Les ingrédients issus de l’archipel suivent le chef lors de ses expérimentations et font désormais partie de sa « valise de cuisinier », à l’instar du shichimi togarashi, un mélange de sept épices relevé par du piment rouge et du poivre sansho. Il y retrouve la saveur umami, présente dans de nombreux produits, du riz au miso, en passant par le poisson séché et les ingrédients fumés.
« Ce que j’aime avec les produits japonais c’est que les ingrédients sont très simples mais ce qui fait la différence, c’est le temps qu’on leur consacre, l’implication que l’on y met et le coup de main », décrit-il. « Ils demandent plus de finesse lors des mélanges. Un gingembre myoga japonais demandera plus de recherches qu’un gingembre classique par exemple, car il est plus expansif et il y a moins de notes derrières. On perd en puissance mais on gagne en élégance ».
C’est tout naturellement que Mory Sacko intègre donc des ingrédients japonais aux recettes africaines qu’il connait depuis toujours. Il réalise alors que les deux seules cultures faisant un usage aussi visible du poisson fumé sont celles d’Afrique de l’Ouest et du Japon, avec son fameux katsuobushi. L’idée fait son chemin et il décide de lancer Mosuke dont le menu se construit comme une conversation entre les continents, leurs recettes et leurs produits. Le tout, avec une esthétique à la française en écho à la formation du chef.
Allier saveurs japonaises et africaines, un défi
On y découvre une version du poulet yassa sénégalais au sudachi, un petit agrume du sud du Japon, ou encore une soupe froide hiyajiru au concombre, miso et gombos qui évoque la Soupou Kandja que la mère de Mory Sacko avait l’habitude de préparer.
Le principal défi pour le chef c’est justement le mariage des saveurs japonaises et africaines. « Au Japon, il y a une passion volontaire pour la fadeur », évoque Mory Sacko. « Les goûts africains sont au contraire très puissants et marqués. Il s’agit de trouver l’équilibre entre la recherche de la subtilité et celle du feu permanent par les épices ou le piment. Souvent, les plats d’inspiration japonaise qui jouent plus sur la fadeur arrivent donc en premier, dans les entrées ; suivent ensuite les plats chauds africains ».
Des ingrédients sélectionnés en épicerie fine
Les produits qui entrent dans la composition des créations de Mory Sacko sont sélectionnés avec soin chez des fournisseurs spécialisés dans les ingrédients japonais comme l’épicerie Umami Paris. « Même si certains commencent à produire du miso en France, on n’arrive pas à la même complexité ni à la finesse des miso japonais », affirme le chef qui utilise plusieurs variétés de la pâte fermentée, par ailleurs ingrédient clé de son plat iconique, le homard breton cuit au binchotan accompagné d’un miso à la tomate.
Parmi les produits que Mory Sacko fait venir du Japon figurent notamment la racine de wasabi frais, l’umeboshi — idéale pour ajouter une pointe de sel et d’acidité aux jus de volaille — et les sauces soja supérieures qu’il utilise beaucoup pour saler, déglacer une sauce ou créer des bouillons translucides grâce au shiro shoyu, variété de sauce soja blanche.
Le menu des boissons de Mosuke n’est pas en reste puisqu’une attention toute particulière est accordée à la sélection de sakés, travaillés dans des accords comme le vin. « Le saké fait partie de l’identité de mon restaurant », confirme le chef. « Je trouve même qu’il s’accorde mieux que le vin à ma cuisine et à ses saveurs exubérantes et épicées ». Umeshu, yuzushu et autres liqueurs comme celle de shiso sont aussi proposées en accompagnement des desserts.
Un laboratoire d’expérimentations permanentes
Mory Sacko travaille à partir du produit et s’inscrit donc dans une démarche de saisonnalité. Il continue d’étendre le répertoire de ses prouesses africano-japonaises, travaillant par exemple à l’élaboration d’une harissa aux algues nori, « un jeu d’équilibriste pour que le goût du nori ne soit pas étouffé par le piment », comme il l’explique. Ou encore en réinventant d’autres mets bien connus comme la Pèpè Soup à l’ivoirienne, une soupe forte avec du piment mais travaillée ici pour que l’infusion ait la même densité et douceur qu’un dashi.
Il ne reste qu’une dernière frontière à franchir pour le jeune chef, celle qui le relie au Japon, pays qu’il admire et dont il est fin connaisseur sans pourtant avoir encore eu l’occasion d’y aller.
Mory Sacko a accepté de partager avec Pen sa recette de sole cuite en feuille de bananier, accompagnée de purée d’épinards et quinoa poêlé.
Ingrédients
Pour la sole
2 Soles de 300/400g
4 feuilles de bananier
20 g d’épices togarashi shichimi
4 g de Sel
Pour la purée d’épinards
150 g d’épinards
20 g de crème liquide
1 pincée de sel
Eau
Pour le quinoa poêlé
100 g de quinoa blanc
1 pincée de sel
Eau
Préparation
Pour la sole
Lever les filets de sole (ou les faire lever par le poissonnier) et les assaisonner avec le sel et le mélange togarashi shichimi. Rouler les filets dans du film plastique en formant un boudin en roulant les extrémités pour les fermer hermétiquement. Les placer tête bêche dans un plat et laisser reposer au frais pendant 1 heure.
Faire préchauffer le four à 180 degrés.
Une fois reposé, sortir les filets du film plastique puis les rouler dans la feuille de bananier en les fermant hermétiquement. Enfourner à 180 degrés pendant 8 minutes.
Une fois cuits, brûler légèrement la feuille de bananier au chalumeau (facultatif).
Pour la purée d’épinards
Rincer les feuilles d’épinard.
Dans une casserole, verser de l’eau avec un peu de sel et porter à ébullition, puis ajouter les épinards et laisser cuire pendant 3 minutes. Refroidir les épinards dans un bain d’eau glacée puis les retirer. Mixer les feuilles d’épinard en ajoutant un peu d’eau. Une fois la purée lisse, la faire chauffer dans une casserole et ajouter la crème puis mélanger le tout afin d’obtenir un mélange homogène.
Pour le quinoa poêlé
Rincer le quinoa dans un saladier. Dans une casserole, verser de l’eau et chauffer à feu moyen. Lorsque l’eau est frémissante, ajouter le quinoa et laisser cuire pendant 4 à 6 minutes. Égoutter puis laisser refroidir le quinoa.
Dans une poêle chaude, ajouter un peu d’huile et faire revenir le quinoa cuit pendant 2 minutes jusqu’à ce qu’il soit croustillant.
Finition et dressage
Dans une assiette, disposer la purée d’épinards puis le quinoa poêlé par-dessus. Disposer la sole à côté et ajouter un peu de mélange togarashi shichimi par-dessus.
Petit plus du chef : disposer quelques feuilles de livèche et un peu d’aneth (facultatif)
Plus d’informations sur Mosuke sur le site internet du restaurant et sur la plateforme Taste of Japan.
Adresse : 11 rue Raymond Losserand, 75014 Paris
Sole en feuille de bananier, Attiéké, “togarashi shichimi” et livèche © Quentin Tourbez
Homard, miso à la tomate et piments lactofermentés © Quentin Tourbez
Manioc laqué sauce soja, épinard pillé comme un Saka-Saka, coco et gingembre © Quentin Tourbez
Riz japonais, avocat, gombo, huile d’avocat et caviar © Quentin Tourbez
Ananas mariné, “shiso” en meringue et sorbet bissap © Quentin Tourbez
© Chris Saunders
© Quentin Tourbez
© Quentin Tourbez
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