Le fugu, un poisson potentiellement toxique, devenu une fierté de la gastronomie japonaise

10.12.2019

TexteSolenn Cordroc'h

©spaztacular

Plus rarement consommé qu’un ramen, le fugu reste pourtant l’un des aliments les plus notoires du Japon. Jadis perçu comme une roulette russe gastronomique, ce poisson, réputé pour sa chair fondante, est surtout connu pour contenir de la tétrodotoxine, un analgésique fulgurant et 1200 fois plus puissant que le cyanure, et pour lequel il n’existe aucun antidote. Communément nommé le poisson-globe ou le poisson-lune car il se gonfle en ingérant une grande quantité d’eau face à la moindre menace, le fugu est consommé au Japon depuis la période Jômon (10 000 à 300 avant J.C.). Néanmoins, il fut formellement prohibé sur ordre du shogun des années 1600 jusqu’aux années 1800, suite à la mort d’un samouraï par empoisonnement. En 1888, le premier ministre Hirobumi Ito, de passage à Shimonoseki, la “capitale” du fugu, aurait été tellement subjugué par les saveurs du poisson qu’il aurait levé la sentence et permis à nouveau sa consommation.

Si l’ère Meji a véritablement remis le fugu au goût du jour, c’est que ce poisson, une fois correctement préparé, est un mets considéré comme raffiné. Un repas constitué essentiellement de fugu coûte entre 40 et 100 dollars par personne et comprend généralement cinq plats, dont du fugu cru, frit, sous forme de ragoût ou de bouillon. Sa chair contient beaucoup de protéines et très peu de graisse et sa haute concentration en fibres lui donne une texture élastique voire gélatineuse à la mastication. En conséquence, les tranches de fugu découpées et servies sont encore plus minces que les tranches de sashimi habituelles.

Pour préparer le fugu, il faut enlever les organes (foies, intestins et ovaires) contenant le poison mortel. Seuls des chefs hautement qualifiés et possédant une licence acquise à l’issue d’un apprentissage de longue haleine sont autorisés à manier le poisson. Parmi les nombreuses variétés de fugu, dont 120 espèces toxiques, les deux principales consommées au Japon sont le Torafugu et le Mafugu. Idéalement servi de décembre à février, lorsque le poisson grossit pour survivre aux températures froides, le fugu se prépare dans les règles de l’art. A l’aide d’un couteau spécial appelé Fugu hiki, il faut couper précautionneusement le poisson et en retirer soigneusement les organes toxiques, stockés dans un récipient verrouillé avant d’être brûlé. Pas moins de 30 étapes scrupuleuses sont prescrites pour préparer correctement le fugu et éviter ainsi toute contamination.

Certes, le nombre de décès liés au fugu a fortement diminué au fil des années. Mais des incidents isolés se produisent encore, généralement lorsqu’un particulier tente de préparer lui-même le poisson toxique. De plus, le Japon a récemment fait face à la naissance de poissons hybrides, aux mutations causées par le réchauffement climatique. Le fugu, contraint de se diriger vers le nord pour rechercher des eaux plus froides, s’est reproduit avec d’autres espèces. Loin d’être une bonne nouvelle, les nouveaux fugus sont problématiques car leurs toxines paralysantes ne sont pas toujours situées aux mêmes endroits que chez les fugus ordinaires, et peuvent se retrouver dans les viscères, les organes reproducteurs mais également dans la peau ou les muscles. Pour empêcher des intoxications mortelles, le Japon a catégoriquement interdit la vente et la distribution de ces fugus hybrides.

©JNTO

©JNTO

©calltheambulance

©Michael Rhodes