Yoichi, la nature en partage
Cette région de Hokkaido est le nouveau paradis du vin japonais avec ses exploitations bio et son agriculture durable.
À mi-chemin entre Otaru et Shakotan, Yoichi est un coin de nature tourné vers le soleil et la mer du Japon toute proche. C’est aussi le nouveau paradis du vin japonais, comme en témoignent les larges étendues de vignes qui recouvrent ses prairies et ses flancs. On y rencontre des hommes et des femmes aux histoires différentes mais que réunissent un intérêt partagé pour le bio et les agricultures durables.
©︎Pen International
Où que l’on regarde, ce ne sont que vignes. À un Italien, à un Français, un exploitant de la Napa Valley, le paysage évoquera des territoires connus. On pense aux grandes régions de vin, en France le Bordelais bien sûr, l’Alsace, les coteaux des bords de Loire. Ou encore la Bourgogne si, comme le viticulteur François Servin, c’est là que vous avez grandi et vécu.
« J’ai découvert ce territoire merveilleux de collines alliant des coteaux presque montagneux bordé d’un littoral, d’une mer froide. Le plus étonnant pour un Bourguignon habitué à une terre bourguignonne argilo-calcaire, c’est de découvrir un “terroir” vierge, avec une terre noire, une terre riche pleine d’alluvions, donc une terre prometteuse et généreuse de richesse. Mais ce qui est plus surprenant encore, c’est ce climat unique d’Hokkaido. Des hivers glacials, des étés chauds et humides, des vendanges effectuées délicatement début octobre, avec le risque d’une neige plus qu’abondante quelques semaines plus tard. Ce climat, c’est un paradoxe terrible pour une terre en devenir viticole, avec la neige qui rend impossible l’accès aux vignes une partie de l’année et oblige le vigneron à renoncer à une taille hivernale pour une taille en vert préalable, au mépris presque du repos végétatif de la vigne… Vu de nos contrées françaises, il faut une volonté, une précision toute japonaise pour se risquer à élever des plants de vignes dans ces contrées. »
©︎Pen International
Ces rangs de vignes n’ont bien évidement pas poussé seuls. Ils sont le fruit d’un travail de longue haleine accompli à la force des bras et d’une volonté sans faille. François Servin encore : « Sur ces coteaux on trouve des aventures familiales, de petites exploitations, pour certaines des micro-entreprises, parfois même des productions de quelques centaines de bouteilles, mais dans tous les cas des passionnés ! Des gens qui ont la “chance” de commencer une histoire, de se créer un destin familial, de façonner un devenir pour leur région, pour leur île. Je dis bien une chance, car n’ayant pas le poids de la tradition familiale, des usages ancestraux propres à chaque appellation, ils peuvent se permettre de tester, d’expérimenter, de créer leurs propres méthodes à la vigne et à la cave, et au final d’inventer leurs vins. »
On pourrait citer l’exemple de Shigeaki Kihara à la Mongaku Valley, venu s’installer ici avec femme et enfants après dix années passées à vivre la vie de Monsieur tout le monde dans Tokyo la ville-monde. « J’ai rencontré Yuko, mon épouse, à Hokkaido, nous étions étudiants ici l’un et l’autre. Nos diplômes obtenus, nous sommes repartis à Tokyo, c’était pour nous comme un passage obligé, connaître la vie de salarié, le travail en entreprise, ces choses-là… Mais dès le début nous nous l’étions promis : dix ans, et puis nous repartirions à Hokkaido. C’est ce que nous avons fait. »
©︎Maximilien Rehm
« Le vigneron nippon est précis, méticuleux, comme on ne peut l’imaginer… », remarque François Servin. « Le raisin est coupé méticuleusement, il est ausculté, les grains triés, délicatement presséds. Les caves sont dignes d’un salon bourgeois parisien, on les traverse en chaussons ! L’hygiène est ici une donnée essentielle. Et puis il y a la dégustation ; le vigneron qui s’excuse presque de vous faire déguster son humble vin, et votre surprise alors de découvrir des vins nets francs, fruités, prometteurs. Certes le terroir, le climat sont différents, mais quelle découverte, quelle précision ! À l’image de la cuisine nippone, simple, avec des ingrédients au goût immédiatement identifiables, les vins sont francs, leurs arômes variés. Les vins blancs mettent en appétit, tandis que les rouges sont gouleyants ou gourmands suivant l’humeur, la personnalité du vigneron. »
Comment ne pas parler ici de Takahiko Soga, ambassadeur à sa manière de la region avec son domaine Takahiko ? Ses vins, le Nana Tsu Mori en tête, s’arrachent d’un bout à l’autre de l’archipel et bien au-delà, finissant le plus souvent sur les tables des meilleurs restaurants. Tout est là : l’attachement à la terre, le respect du vivant et l’envie, modestement mais sûrement, de faire de son vin un morceau de terroir et de paysage.
« La richesse de ce sol vierge, la variété des cépages utilisés et la méticulosité des vignerons japonais donnent aux vins de Yoichi une précision, une pureté incroyables », ajoute François Servin. « Nous connaissons l’intérêt des Japonais pour les vins biologiques, pour les vins dits “nature”. Étant moi-même un vigneron en culture conventionnelle, je suis extrêmement surpris et émerveillé par cette précision à la vigne, à la cave et dans le verre. Dans nos contrées, certains goûts, certains arômes des vins biologiques sont encore à définir, à classer, à répertorier. Ces arômes atypiques sont-ils bien ceux de nos cépages, respectent-ils nos terroirs ? Dans la presse viticole cela fait débat… Mais au Japon, rien de cela ! Les vins que j’ai dégustés à Hokkaido sont francs, nets, précis. Rien de suspect, rien d’atypique. Cette richesse issue de sols neufs et riches, de ces coteaux exposés au soleil et au vent et de la précision nippone font de ces vins des merveilles et la meilleure garantie pour Yoichi d’un avenir radieux. Récemment, le journaliste anglais Tim Atkins me demandait quel était mon vin préféré. Mes favoris sont Niki Hills Vineyards, Takahiko, Mongaku Valley. Et j’ose l’affirmer haut et fort ; ma plus forte impression de dégustation n’est ni un Bourgogne, ni un Bordeaux, mais un Pinot Gris du Domaine Mont ! Je me désespère de ne voir encore ses vins disponibles sur les tables françaises. Cela viendra ! Ne m’a-t-on pas déclaré que l’on souhaitait faire de la région la « Napa Valley japonaise » ? Ils en sont capables. »
©︎Maximilien Rehm
Il est maintenant tard, l’heure pour nous de rejoindre notre logis d’un soir. C’est à l’Eco-Village Yoichi que nous dormirons cette nuit. Fondé il y a près d’une dizaine d’années par Junka Sakamoto, l’endroit tient autant de la communauté écologiste que de la micro-exploitation agricole. Il ne se trouve qu’à quelques kilomètres des champs de vignes du Domaine Takahiko et de Mongaku Valley. Les parcours sont différents bien sûr, les personnalités aussi, mais nous y retrouvons la même determination tranquille, la volonté farouche mais sereine, joyeuse même, de vivre avec la terre, à son rythme aussi, en lui donnant le meilleur et en en récoltant les fruits.
Junka et son équipe – ils sont cinq lors de notre visite, avec chacun leur histoire, le projet qui les anime – parlent bio-dynamie, économie circulaire, développement durable. L’utopie n’est jamais très loin, elle est une partie du projet. L’endroit accueille des jeunes et des moins jeunes, Japonais mais pas seulement, venus passer ici un ou deux mois, parfois plus. Beaucoup reviennent d’une année sur l’autre, des relations se créent, on vient aussi pour ça, pour partager..
Mais l’Eco-village c’est aussi du concret, les poules qu’il faut nourrir dès l’aube, le grillage pour les protéger des renards, nombreux à rôder près d’ici. Peu rassurés, nous rejoignons la petite cabane qui nous abritera ce soir. Heureux de notre journée, riches de nouvelles rencontres qui sont autant d’histoires à garder et à partager. Demain sera un autre jour.
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