Du néo-pop à l’art conceptuel, le succès des artistes contemporains japonais en France
Portées par un “japonisme contemporain”, les oeuvres de Takeru Amano, EXCALIBUR ou encore Daijiro Hama ont trouvé leur public.

Takeru Amano, “Venus Lemon”, 2022, Acrylique sur toile, 130 × 130 cm
Depuis la première exposition de Takashi Murakami à la Fondation Cartier à Paris en 2002, l’art contemporain japonais a trouvé son public en France. La plasticienne Chiharu Shiota a d’ailleurs été l’invitée du Grand Palais qui lui a consacré une rétrospective début 2025. Bien qu’un monde sépare l’univers de ces deux artistes, l’enthousiasme qu’ils suscitent en France pourrait s’expliquer par un « japonisme contemporain ».
C’est ce qu’affirme Julien Sato qui a lancé la Sato Gallery en 2020 à Paris avec pour objectif d’introduire les artistes contemporains japonais en France. Pour lui, ce néo-japonisme accompagnerait le succès rencontré ces dernières années par les mangas et animés. Les artistes s’inscrivant dans la mouvance néo-pop initiée par Takashi Murakami et jouant des codes de la culture populaire japonaise sont donc particulièrement appréciés des collectionneurs.
Une popularité à l’étranger qui stimule l’intérêt pour ces artistes au Japon
L’artiste phare de la galerie, Takeru Amano en fait partie. Ses peintures peuvent autant représenter des formes géométriques abstraites en une explosion de couleur que des natures mortes ou des figures humaines. Des œuvres qui suscitent chez l’observateur une sensation d’étrangeté avec la superposition d’éléments incongrus voire absurdes. L’une de ses séries met ainsi en scène une jeune femme nue — Venus — de manière très sensuelle sur fond de couleur néon. Mais son visage affiche toujours une expression neutre, si ce n’est blasée, contrastant avec la volupté de la composition.
Exposé pour la première fois à Paris en 2016, Takeru Amano n’avait plus fait d’expositions au Japon depuis un moment. Sa popularité à l’étranger a provoqué un regain d’intérêt pour son œuvre dans son pays d’origine où un premier catalogue de ses œuvres, Icons est paru chez Tsutaya Books en 2020. Pour cet artiste en milieu de carrière, indépendant, comme la plupart de ceux exposés par la Sato Gallery, la reconnaissance à l’étranger est passée par une participation à la Urban Art Fair de Paris.
Des œuvres accessibles
« Nos collectionneurs ne sont pas forcément des connaisseurs du Japon », explique Julien Sato. « En revanche, beaucoup collectionnent de l’art urbain qui se rapproche assez de la culture pop ». Parmi ces acquéreurs, certains appartiennent aussi à l’univers crypto et métavers. Ils sont ainsi plus sensibles à l’art issu de la culture gaming que propose le collectif EXCALIBUR. Ces derniers composent des tableaux en pixel art, souvent en 8 bits en hommage à l’âge d’or des jeux vidéo dans les années 1980, prenant comme sujet tant des thématiques propres au gaming que des paysages urbains modernes. Un mouvement artistique de la génération suivant celle de Takashi Murakami qu’EXCALIBUR qualifie de « meta-bit ».
Le collectif, fondé par Yoshinori Tanaka, utilise une technique spécifique pour passer d’une composition digitale faite par ordinateur à une œuvre physique. Il se sert de l’impression UV, réalisée en plusieurs couches avant de terminer par de l’acrylique. Les paysages urbains aux teintes néon ainsi recréés gagnent alors en profondeur, même lorsque les œuvres sont réalisées au format vertical dans la tradition des rouleaux d’estampe.
« Les œuvres qui rencontrent un succès commercial sont celles faciles à comprendre pour un public étranger », poursuit Julien Sato qui, fort de sa double culture et de dix-sept années passées au Japon, excelle dans la pédagogie. « Le néo-pop est accessible car la plupart des collectionneurs connaissent Takashi Murakami. Mais aujourd’hui, ils ont envie d’aller plus loin et s’intéressent aux œuvres parfois plus subtiles ».
Une scène contemporaine de plus en plus établie à l’international
L’artiste Daijiro Hama fait partie de ceux qui les intriguent. Son univers monochrome mobilise des yōkai, créatures des légendes de son enfance passée à Shimane, l’un des hauts-lieux de la spiritualité japonaise. Ses peintures oniriques à l’inquiétante étrangeté évoquent le surréalisme. Daijiro Hama et Julien Sato ont d’ailleurs imaginé un terme spécifique pour qualifier ce surréalisme très japonais, empreint de spiritualité mais avec aussi un côté kawaii : シュールrealism (shūru-realism de shūru, signifiant surréel à l’origine, mais qui désigne désormais l’originalité d’une chose qui aurait un côté étrange mais créatif). Une manière de faciliter l’introduction d’un art conceptuel en France, pays où l’on aime nommer et identifier les mouvements artistiques.
Ce n’est sûrement pas un hasard si Jean Pigozzi, Français ayant rassemblé la plus grande collection d’art africain au monde, a depuis 2008 jeté son dévolu sur les jeunes talents de l’art contemporain japonais. Son flair lui a sûrement permis d’anticiper la popularité que ces artistes rencontreraient en France et leur compatibilité avec la scène locale.
En présentant la nouvelle scène contemporaine japonaise en Europe, notamment à travers l’organisation du festival biannuel Tokyosaï à Paris, Julien Sato espère susciter des échanges artistiques entre les deux régions. Pour les dix ans de sa galerie, il prévoit même d’ouvrir une antenne tokyoïte. Un retour aux sources, probablement à Nakameguro où il avait longtemps tenu le bar-galerie M et reçu de nombreux artistes, y compris Takeru Amano dont l’atelier est toujours situé dans les environs. Et une manière d’ancrer son activité au plus près de la nouvelle garde de l’art contemporain japonais.
Plus d’informations sur les artistes de la Sato Gallery sur le site internet de l’établissement.

Takeru Amano, “Mountain View 1”, 2024, Acrylique sur toile, 33,5 × 33,5 cm

EXCALIBUR, “Yukoku sankei mandala (Mandala du pèlerinage patriotique)”, 2021, Encre pigmentaire, paillettes, acrylique et vernis UV sur toile, 120 × 120 cm

EXCALIBUR, “量子庭園図 Quantum Gardens”, 2024, Signé et daté par l’artiste, Encre pigmentaire, acrylique et vernis UV sur toile, 120,2 × 120,2 × 5,5 cm

Daijiro Hama, “Figures w landscape”, 2024, Gouache acrylique sur toile, 81 × 65 cm

Daijiro Hama, 2022, Gouache acrylique sur toile, 41 × 41 cm

Julien Sato à la Sato Gallery à Paris le 5 février 2025.
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