“BGM”, la musique d’ascenseur japonaise
La renaissance actuelle de l'“ambient music” japonaise permet de se replonger dans la longue histoire de ces chansons sans titre.
“Ici aussi, il y a de la BGM.....” Avec l'aimable permission de Toyo Media Links.
Le retour sur le devant de la scène de l’ambient music japonaise, permis par les plateformes numériques, a marqué un tournant dans la prise de conscience des vertus curatives de la musique. L’utilité de l’ambient a été largement examinée depuis le début du XXème siècle, et les incroyables chefs-d’œuvre des artistes Satoshi Ashikawa ou Midori Takada sont aujourd’hui célébrés. Mais dans la modernité japonaise, la musique d’ambiance — également appelée par Haruomi Hosono, la “BGM” pour Background Music — jouit d’une pertinence particulière.
Les changements radicaux de la société japonaise dans l’après-guerre ont amené diverses expérimentations musicales à se réunir en un seul courant pour tenter de faire de la musique un “meuble”. Au cours des années de croissance économique, la musique d’ascenseur était diffusée dans les bureaux, supermarchés et rues commerçantes pour subtilement insuffler l’atmosphère d’une nation transformée.
Un catalogue flottant
Comme l’explique Yuji Tanaka dans Elevator Music in Japan, la “BGM” fut un modernisme informe du milieu du siècle qui se camouflait dans son environnement. Une quête du renouveau apporté par les opportunités inattendues offertes par la technologie et renforcé par la prospérité économique et l’accroissement des financement accordés à la culture.
Ses débuts ont été marqués par des boucles de sonorités jazz, bossa-nova et lounge. En 1957, le premier studio “BGM” est créé dans une salle de l’Imperial Hotel de Tokyo ; il utilise alors d’importants équipements pour diffuser quantité de bandes de musique étrangère. La société américaine Muzak avait auparavant découvert que la musique d’ambiance, aussi appelée easy listening, permettait d’améliorer la productivité des ouvriers. Elle impressionne alors les dirigeants japonais en révélant que cette musique permet de faire de l’expérience du shopping une transe.
Dans les années 1980, alors que les ingénieurs du son japonais développent des équipements d’écoute plus petits, la révolution gagne l’ensemble de la société. La “BGM” devient une mode et envahit les bureaux, les hôtels, les pistes de bowling et même les bateaux de pêche. En 1974, à l’Exposition de Spokane à Osaka, où les membres du courant Fluxus présentent leurs dernières innovations technologiques, une ligue de grandes sociétés “BGM” dépêche sur place des conférenciers pour faire la promotion de la « musique d’ambiance ».
L’avenir est plat
Avec comme nouvel objectif une forme de légèreté, les connotations futuristes de la musique d’ambiance envahissent les productions des musiciens à qui l’on commande de la “BGM”. Haruomi Hosono, qui a participé à l’album BGM du Yellow Magic Orchestra (1981), avait initialement créé “Watering a Flower” pour une diffusion dans les magasins MUJI. Des compositions électroniques d’avant-garde d’Isao Tomita apparaissent aussi dans des manuels de danse à l’école, alors que Ryuichi Sakamoto réalise un disque expérimental pour apaiser les bébés, présenté dans des magazines consacrés à la maternité.
La “BGM” est devenue une forme d’art anonyme, destinée à guider le public à travers la vie moderne, en faisant correspondre la musique au décor. Tout en oscillant entre l’art et une forme d’expression banale, son histoire décrit le sérieux d’un genre qui a pour fin d’apparaître au second plan. Le retour actuel de l’ambient music nous permet de nous replonger dans son histoire, et invite une nouvelle fois les auditeurs dans des royaumes envoûtants.
De nombreuses œuvres perdues de l’ambient music japonaise sont aujourd’hui redécouvertes et mises en ligne. Des classiques de Satoshi Ashikawa ou Midori Takada ont ainsi été réédités par WRWTFWW Records.
Des lecteurs de “BGM” originels. Ils sont apparus dans les années 1950 comme larges magnétophones avant de se transformer en lecteurs de cassettes plus légers dans les années 1980. Avec l'aimable permission de Toyo Media Links..
Un disque originel de “BGM” avec des pistes provenant de l'entreprise Toyo Ongaku Hoso (1965). Avec l'aimable permission de Toyo Media Links.
Les salles de programmation de l'entreprise Toyo Ongaku Hoso. Avec l'aimable permission de Toyo Media Links.
“Venue de nulle part, flottant comme l'air. Amenant créativité et confort. De la musique scientifique — c'est la “BGM” d'Altofonic”. Avec l'aimable permission de Toyo Media Links..
“Vous reprendrez bien un peu de “background music” ?” Une image extraite de “BGM Digest” (1962). Avec l'aimable permission de Toyo Media Links.
“Still Way (Wave Notation 2)” de Satoshi Ashikawa (1983). Il est considéré comme l'un des précurseurs de la musique d'ambiance au Japon. Avec l'aimable permission de WRWTFWW Records.
“Through the Looking Glass” de Midori Takada (1999). Depuis sa redécouverte récente, elle a été décrite comme une autre pionnière de la musique d'ambiance, incorporant des percussions africaines et du gamelan indonésien dans ses compositions. Avec l'aimable autorisation de WRWTFWW Records.
“Kakashi” de Yasuaki Shimizu (1982). Yasuaki Shimizu a fait progresser le jazz proprement japonais en le mélangeant à de la musique d'ambiance et des sons “new age”. Avec l'aimable autorisation de WRWTFWW Records.
LES PLUS POPULAIRES
-
“Les herbes sauvages”, célébrer la nature en cuisine
Dans ce livre, le chef étoilé Hisao Nakahigashi revient sur ses souvenirs d’enfance, ses réflexions sur l’art de la cuisine et ses recettes.
-
Shunga, un art érotique admiré puis prohibé
Éminemment inventives, se distinguant par une sexualité libérée, ces estampes de la période Edo saisissent des moments d'intimité sur le vif.
-
Ryan Neil, maître bonsaï
L'artiste américain a suivi l’apprentissage d'une figure respectée du bonsaï avant d'affirmer sa patte qui mêle du bois mort aux végétaux.
-
Shio Kusaka, une vision personnelle de la poterie japonaise
Des souvenirs d'enfance de tasses à thé, de l'artisanat ancien, de pastèques ou de dinosaures... L'artiste s'inspire de multiples références.
-
Un film magistral adapté d'une nouvelle de Murakami
“Burning” du cinéaste Lee Chang Dong est tiré du court récit de l’écrivain star japonais, “Les granges brûlées”, publié en 1987.