“Garo”, la revue de l’avant-garde du manga
Lancé en 1964, le mensuel a mis en lumière les meilleurs auteurs d'un manga subversif et expérimental qui a fait date.
“Garo”, Seirindo Kogeisha.
Si Garo n’est aujourd’hui plus publiée, la revue, sa signature, sont immédiatement reconnaissables. Les unes, illustrées par les plus grands noms de l’univers du manga, dans toute sa diversité, ont eu une influence considérable sur les étudiants, professionnels et artistes, entre les années 1960 et 2000.
Principal magazine d’anthologie du manga alternatif au Japon, Garo a permis à des artistes pionniers de s’aventurer dans des thématiques délicates — drames historiques, questionnements existentialistes sur la vie moderne, illustrations abstraites, représentations froides de la pauvreté et nombre d’investigations artistiques érotiques et grotesques. Garo n’a jamais été considéré comme un magazine « majeur » ; pour autant, son caractère subversif a aidé à définir les contours du manga contemporain — et également de toute la culture pop japonaise.
Insurrection graphique
Garo apparaît à une époque où les manga ne circulent que grâce à un système de location — le kashi-hon —, tandis que le contexte politique japonais mouvementé est marqué par d’importantes manifestations étudiantes. Le premier numéro du magazine fondé par Katsuichi Nagai présente le travail de Sampei Shirato, artiste et essayiste connu pour avoir introduit le gekiga — un style de bande dessinée graveleuse (destinée aux adultes) qui dominait cet univers dans les années 1960 et 1970.
C’est notamment grâce à la célèbre saga de manga Kamui-den de Sampei Shirato — qui s’apparente à un drame politique —, visant particulièrement un jeune public de gauche, que Garo révolutionne le genre. Sa réputation lui permet d’attirer rapidement des artistes gekiga aujourd’hui reconnus tels que Yoshiharu Tsuge, Yoshihiro Tatsumi ou Shigeru Mizuki.
Instabilité
Garo surgit dans une société instable, politiquement et socialement. Aux traumatismes nés de la Seconde Guerre mondiale s’ajoutent une succession d’événements tels que le suicide par seppuku de Yukio Mishima ou le détournement de Yodogo. La dimension surréaliste et l’humour noir qui caractérisent Garo marquent ainsi une génération en quête de nouveaux horizons.
L’univers du manga, sensible à l’opinion publique, est régi par des codes strictes. Pour autant, les éditeurs de Garo laissent une totale liberté de ton à leurs auteurs, qu’ils soient catastrophistes ou critiques du statu quo. Les déboires financiers et leurs conséquences n’éloignent pas un public attaché à cette instabilité, et l’impact des illustrations expérimentales de Suehiro Maruo, Seeichi Hayashi ou King Terry sur le monde du graphisme est considérable. Nombre de magazines concurrents sont apparus au fil des années ; et si ceux-ci étaient plus prospères sur le plan financier, ils ont toujours suivi les traces de Garo.
Dans les années 1990, le public a commencé à se détourner de Garo, et en 1996 — six ans après la mort de Katsuichi Nagai —, l’équipe se disperse, et se lance dans d’autres projets tels que Ax. Mais Garo n’a pas complètement disparu ; le magazine a laissé une trace indélébile dans l’industrie japonaise du manga.
Garo n’est plus imprimé depuis 1992, mais les œuvres publiées dans ses pages ont depuis été diffusées et traduites dans nombre de publications internationales.
En France, les éditions Cornélius ont publié plusieurs auteurs de la revue, notamment Yoshiharu Tsuge.
Un recueil d’histoires de l’héritier du magazine, — Ax —, a été publié aux éditions du Lézard noir.
Une de “Garo” de 1993, avec une oeuvre de Suehiro Maruo.
Une de “Garo” de 1966, avec une oeuvre de Yoshiharu Tsuge. Cette édition mettait particulièrement en avant son travail et a édité sa nouvelle légendaire “Numa” (Marais).
Une de “Garo” de 1971, avec une oeuvre de Seeichi Hayashi.
Une de “Garo” de 1994, avec une oeuvre de Kiriko Nananan.
Une de “Garo” de 1972, avec une oeuvre de Maki Sasaki.
LES PLUS POPULAIRES
-
“Les herbes sauvages”, célébrer la nature en cuisine
Dans ce livre, le chef étoilé Hisao Nakahigashi revient sur ses souvenirs d’enfance, ses réflexions sur l’art de la cuisine et ses recettes.
-
Shunga, un art érotique admiré puis prohibé
Éminemment inventives, se distinguant par une sexualité libérée, ces estampes de la période Edo saisissent des moments d'intimité sur le vif.
-
Le périple enneigé d’un enfant parti retrouver son père
Le film muet “Takara, la nuit où j'ai nagé” suit un jeune garçon sur la route, seul dans un monde d'adultes qu'il a du mal à appréhender.
-
L'homme qui construisait des maisons dans les arbres
Takashi Kobayashi conçoit des cabanes aux formes multiples adaptées à leur environnement et avec un impact limité sur la nature.
-
Les illustrations calligraphiques d'Iñigo Gutierrez
Inspiré du “shodo”, la calligraphie japonaise, l'artiste espagnol établi à Tokyo retranscrit une certaine nostalgie au travers de ses oeuvres.