“L’empire des sens”, femme impériale

Nagisa Oshima fait de Sada Abe l’héroïne de son film, à rebours des codes du “pinku eiga” qui placent les hommes au centre de l'attention.

05.07.2021

TexteClémence Leleu

© Argos Films

« Ce fait divers a bouleversé les Japonais car la société japonaise réprime la sexualité. Elle n’admet pas que les femmes aient un désir sexuel. Malgré ce contexte, Sada est allée au bout de l’amour et du désir. » Voici les mots de Nagisa Oshima, interrogé dans un documentaire sur son film à l’aura sulfureuse, L’empire des sens, sorti sur les écrans en 1976. 

Deux ans plus tôt, Anatole Dauman, producteur français, donne carte blanche à Oshima pour réaliser le film de son choix avec toutefois un impératif : imaginer un film de genre. Le Japonais est radical et propose un film pornographique, dans lequel il entend lever le tabou des relations sexuelles non simulées devant les caméras.

 

Un film inspiré d’un fait divers

Ce long métrage à l’atmosphère transgressive s’inspire d’un des plus grands faits-divers de l’archipel : une servante, Sada Abe, étrangle son amant pendant l’orgasme et l’émascule. Avant de se promener durant deux semaines dans la rue, affichant un air conquérant et rayonnant, le pénis de son défunt partenaire dans la main. Un duo incarné à l’écran par Eiko Matsuda et Tatsuya Fuji. 

L’empire des sens — dont le titre en japonais Ai no korida peut-être traduit littéralement par La corrida de l’amour — raconte cette passion dévorante à l’issue macabre, mais avec un point de vue radicalement différent de ce que le cinéma japonais érotique et pornographique propose habituellement.

« Je l’aimais tellement que je le voulais pour moi seule », confie Sada Abe à son procès. Nagisa Oshima fait d’elle la meneuse en chef de cette corrida, il la magnifie en femme puissante, maitresse de ses désirs. Une vision à rebours des codes du pinku-eiga, pensé par et pour les hommes, et où violence et humiliation sont de tous les scénarios. « Je tenais à créer ma Sada », précisera d’ailleurs Oshima. 

 

Toujours trop sulfureux pour la société japonaise

Un rôle aux contours bien plus politiques qu’il n’y paraît, mais qui pourtant n’apporte pas la reconnaissance et le succès à son actrice. Contrairement à Tatsuya Fuji, qui a vu après L’empire des sens sa carrière décoller, Eiko Matsuda n’arrive pas à se défaire de l’image sulfureuse de son personnage.

« Elle a été maltraitée par beaucoup de monde qui la considéraient comme une prostituée, elle était insultée dans la rue. Elle a dû quitter le Japon pour Paris où elle a rejoint son mari musicien », détaille Hubert Niogret, critique de film, interrogé dans le documentaire Il était une fois… L’empire des sens de David Thompson. 

Le film, dans sa version intégrale, est aujourd’hui toujours interdit au Japon. Réédité au cinéma en 2000 dans l’archipel, les scènes pornographiques initialement coupées lors de sa première sortie avaient été réintégrées, mais les plans montrant les organes génitaux sont toujours floutés. 

 

L’empire des sens (1976), un film réalisé par Nagisa Oshima et distribué par Argos Films, en vidéo à la demande sur la Cinetek ou sur le site d’Univers Ciné.

© Argos Films