“Tokyo-Ga”, rêve tokyoïte éveillé
Dans ce documentaire, Wim Wenders part sur les traces de son réalisateur fétiche, Yasujiro Ozu, et son film mythique “Voyage à Tokyo”.
© Les Films du Losange
« Mes images de Tokyo m’apparaissent refléter une perception somnambule », confiait Wim Wenders à propos de son documentaire lors de sa sortie en 1985. Le réalisateur allemand arpente pendant 92 minutes la capitale japonaise sur les pas de Yasujiro Ozu, cinéaste emblématique de l’archipel, qui a particulièrement marqué le réalisateur de Paris, Texas.
Tokyo-Ga est donc l’occasion pour lui de déambuler dans la patrie d’Ozu, d’en chercher les traces, d’en récolter des fragments, tout en questionnant le passage du temps. Car hors des rêves, le temps file et le profil de la ville et de ses habitants évolue. Que reste-t-il alors du quotidien dans lequel à vécu le réalisateur de Voyage à Tokyo, décédé en 1963 ? « L’oeuvre d’Ozu n’a pas besoin de mes éloges. Un sanctuaire du cinéma ne peut exister que dans l’imaginaire et mon voyage à Tokyo n’avait rien d’un pèlerinage. J’étais curieux de trouver des traces, des images des gens à moins qu’avec le changement, je ne puisse plus rien y reconnaître », expliquait alors Wim Wenders.
Filmer l’impermanence
Aucun pèlerinage donc, mais plutôt une balade guidée par les indices et indicateurs de son époque laissés par Yasujiro Ozu au fil de sa filmographie. « Je constate le changement, combien la société, la ville, se sont transformées. L’américanisation, à peine entrevue chez Ozu, a eu lieu. Partout le néon, le Coca-Cola. On aurait pu dire ces choses avec un stylo, comme le journaliste qui fait une enquête. Moi, j’ai pris la caméra. Je ne prétends pas tourner un documentaire, je reste strictement subjectif », raconte le réalisateur au quotidien Le Monde en 1985.
Troisième volet de ses journaux filmés, après Quand je m’éveille et Chambre 666, Wim Wenders plonge avec Tokyo-Ga dans l’agitation tokyoïte. Il découvre la passion du golf, qui faute de place s’exerce au sommet des buildings rutilants, hallucine dans les salles de pachinko et pénètre dans les ateliers de fabrication de sampuru, ces plats factices plus vrais que nature. Il rencontre aussi deux compagnons emblématique de Yasujiro Ozu : Yuharu Atsuta, un caméraman qui témoigne de son travail pour le maître qui aimait filmer au 50 mm à hauteur d’homme assis sur tatami et était un adepte des pillow shots. Mais aussi Chishu Ryu, un de ses acteurs fétiches.
La mégalopole alors en pleine croissance économique tend-elle à devenir amnésique et à oublier son passé ? Peut-être que se trouve ici le rôle du cinéma : encapsuler l’instant pour fixer sur pellicule un présent indéniablement voué à se dissoudre. Mais rien n’est moins sûr. Dans Tokyo-Ga, Wim Wenders filme sa visite sur la tombe de Yasujiro Ozu, dans le cimetière de la ville de Kamakura, à quelques encablures de Tokyo. Sur la sépulture ne figurent ni nom ni épitaphe, seul y trône le caractère mu que l’on peut traduire par « inconstant » ou « impermanence ».
Tokyo-Ga (1985), un documentaire de Wim Wenders distribué par Les Films du Losange / BAC Films.
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