Entre Hokkaido et Kyoto, les saveurs en partage
À Kyoto, dans un restaurant bientôt centenaire, un déjeuner réunissait fin janvier le meilleur de la gastronomie japonaise et des produits de Hokkaido. Avec pour invités d’honneur plusieurs viticulteurs de Yoichi, ce village de l’île du nord promu nouvelle capitale japonaise du vin, un chef français étoilé et un producteur de Bourgogne parmi les plus renommés. À table !
En plus des vins naturels de Yoichi et de Niki, les invités ont pu déguster non seulement le Domaine Servin de Chablis, mais aussi le vin de la Camel Farm Winery de Yoichi.
Cela commence par l’entrée en scène de geishas, moment forcément étrange et fascinant. Histoire peut-être de nous rappeler que nous sommes à Kyoto, ancienne capitale impériale, patrie d’un certain art de vivre et de traditions pour beaucoup plusieurs fois centenaires. Quelque part entre le théâtre muet et la danse contemporaine, la performance fascine et laisse l’assemblée muette, trop captivée pour parler ou même porter à ses lèvres le champagne servi en guise d’apéritif. Nous sommes une vingtaine, viticulteurs, chefs cuisiniers, journalistes réunis pour un déjeuner pas comme les autres. Parmi nous, deux Français dont les noms évoquent la bonne chère, les grands crus, une certaine idée de la gourmandise : le chef Dominique Bouchet et le vigneron de Bourgogne François Servin. Forcément le lieu qui nous accueille à tout de l’extraordinaire : situé à deux pas de la rivière Kamogawa, dans l’une de ces ruelles aux enseignes plus mystérieuses les unes que les autres, le ryotei Honke Tankuma semble tout droit sorti d’un film de Yasujiro Ozu. Il résume à lui seul tout ce qui fait la séduction de la ville, et plus largement du Japon : un raffinement poussé jusque dans ses moindres details, la beauté des matières et des formes qui dit mieux que n’importe quel long discours l’excellence d’une certaine esthétique nippone. Avec comme le décrit si bien Junichiro Tanizaki dans son éloge de l’ombre, l’habileté à jouer de la lumière et de ses zones d’ombres qui donne au lieu son supplément d’âme. Accroupis sur des tatamis, nos yeux sont comme hypnotisés par les deux jeunes femmes. L’une nous dit-on est geiko, l’autre maiko. Jamais nous ne réussirons à distinguer l’élève et son aînée, tant leur niveau de maîtrise et de grâce à l’une et à l’autre est proche de la perfection.
Moment de grâce et de magie en prologue du déjeuner avec le raffinement extrême du spectacle des geishas.
L’expression d’un terroir
À l’instar du vin, la plupart des plats ont été préparés avec des ingrédients de Yoichi. Le hareng grillé est représenté ici.
Marier le meilleur des produits de Hokkaido, produits de la mer en tête, et la haute gastronomie de Kyoto, tel est le dessein de ce repas comme aucun autre. Rien d’incongru à cela : Hokkaido est connu pour la richesse de ses produits alimentaires – le konbu notamment – lesquels s’exportent d’un bout à l’autre de l’archipel depuis longtemps déjà. C’est plus récemment et grâce à l’essor du transport aérien que s’est développé le commerce des produits frais, à commencer par celui des poissons et des crustacés. Le menu du jour condense ce que l’île a de meilleur à offrir : crabe, saint-jacques, sériole, lotte… et même des huîtres. Une orgie de saveurs agrémentée ici et là de produits locaux, du tofu par exemple ou encore du yuzu utilisé pour la préparation du hareng mariné au four. Un récital digne des plus grands maîtres, rien que pour nous. Encore n’est-ce là q’une partie des réjouissances, l’autre arrivera verre après verre, dans un accord parfait avec chacun des plats servis : c’est un Mongaku Valley de 2017 avec les noix de saint-jacques, un verre de Nana Tsu Mori Pinot Noir du domaine Takahiko pour accompagner la sériole à la vapeur avec ses champignons shiitake séchés et ses noix de gingko. Autant de plats et de vins dont la qualité ne pouvait échapper au viticulteur de Bourgogne François Servin. L’homme est un habitué de Hokkaido, il n’avait pas attendu ce déjeuner pour prédire aux vins de Yoichi un avenir lumineux. Il n’empêche, il est impressionné par la qualité et le caractère des vins de Yoichi : « j’ai trouvé dans tous ces vins de Yoichi une finesse, une précision rare même parmi les vins français. Il y a dans la façon dont ses vins sont fabriqués une très grande qualité, et je ne serai par surpris que d’ici quelques années, les producteurs français aient des leçons à recevoir de nos amis japonais… Plus largement, je vois aussi dans la perfection de certains accords, celui des vins du domaine Takahiko avec le dashi si essentiel à la cuisine japonaise par exemple l’expression d’un véritable terroir. »
Richesse des saveurs
Moment de détente et de convivialité avec notamment le chef français Dominique Bouchet, le viticulteur de Bourgogne François Servin et le chef japonais Tomoyuki Takao.
Autre invité de marque du jour, Dominique Bouchet ne pouvait dire mieux. Le chef étoilé a oeuvré dans les cuisines les plus prestigieuses de Paris, celles de Joël Robuchon notamment, avant d’ouvrir les siennes, à Paris d’abord puis au Japon, où il est présent à Tokyo – deux restaurants – à Kanazawa, Nagoya… et à Kyoto depuis quelques mois seulement. Lui aussi est sorti épaté de ce repas à quatre mains préparé par Junichi Kurisu, propriétaire de la quatrième génération du ryotei Honke Tankuma, et par celui qui fut trente ans plus tôt son disciple, Hiroaki Tomiya, venu de Yoichi et du ryokan Kakuto Tokushimaya. « J’ai trouvé dans tous les vins qui nous ont été servis aujourd’hui une très grande qualité, que ce soit le Vallée Mongaku de 2017 ou le Pinot noir du domaine Takahiko, et je n’ai qu’une hâte maintenant c’est de pouvoir moi aussi les proposer sur mes cartes. Il va falloir que j’en parle à mon sommelier… évidemment, je retiendrai aussi de ce repas toute la pertinence, tout le profondeur de ce mariage entre les produits de Hokkaido et la cuisine de Kyoto. Il y a là quelque chose qui fait sens. Je me suis déjà rendu plusieurs fois à Hokkaido, mais pour être honnête avec vous, je ne savais pas qu’il y avait là-bas une telle richesse de produits. J’en ai découvert plusieurs qui pourraient bien me donner des idées » conclut-il en souriant.
Takahiko Soga, propriétaire et exploitant du Domaine Takahiko, présente une bouteille de son vin Nana-Tsu-Mori.
Comme toute chose, les meilleures aussi ont une fin et ainsi de ce déjeuner d’exception. Leur dessert terminé, nombreux pourtant étaient les convives à s’attarder et à oublier jusqu’à la notion même du temps, bien aidés il est vrai par les quelques bouteilles supplémentaires sorties comme par magie de leurs bagages par les viticulteurs de Yoichi… Bientôt pourtant ce fut le moment des au revoir et des Shinkansen du retour, à ne pas rater sous peine de passer la nuit sur place – on a connu plus vilain gage. Heureusement, et comme le veut la tradition, un omiyage – en français on dirait un souvenir – venu de Hokkaido attendait chacun de nous, magnifiquement présenté dans une boîte d’emballage comme seuls les Japonais savent les faire, magnifique. À l’intérieur, trois chocolats signés du chef du restaurant Takao à Sapporo – l’une des meilleures adresses de la ville – Tomoyuki Takao. Des créations aux assemblages aussi inattendus que savoureux, tel ce bonbon au chocolat et à l’ume-boshi, une sorte de prune salée à l’acidité très prononcée. Histoire de prolonger encore un peu le grand moment de gastronomie et de savoir-faire que l’on venait de vivre. Tout en saveurs.
Le mariage de la cuisine de Kyoto avec les vins d’Hokkaido a été apprécié dans une atmosphère détendue.
Vue sur la rivière Kamogawa voisine depuis la salle à tatamis du restaurant.
Le restaurant Honke Tankuma a été créé en 1928. Grâce à sa cuisine qui fait découvrir les quatre saisons de la ville, son propriétaire s’est fait un nom dès ses débuts et a été surnommé le « dieu de la cuisine de Kyoto ».
LES PLUS POPULAIRES
-
“Les herbes sauvages”, célébrer la nature en cuisine
Dans ce livre, le chef étoilé Hisao Nakahigashi revient sur ses souvenirs d’enfance, ses réflexions sur l’art de la cuisine et ses recettes.
-
Shunga, un art érotique admiré puis prohibé
Éminemment inventives, se distinguant par une sexualité libérée, ces estampes de la période Edo saisissent des moments d'intimité sur le vif.
-
Le périple enneigé d’un enfant parti retrouver son père
Le film muet “Takara, la nuit où j'ai nagé” suit un jeune garçon sur la route, seul dans un monde d'adultes qu'il a du mal à appréhender.
-
L'homme qui construisait des maisons dans les arbres
Takashi Kobayashi conçoit des cabanes aux formes multiples adaptées à leur environnement et avec un impact limité sur la nature.
-
Les illustrations calligraphiques d'Iñigo Gutierrez
Inspiré du “shodo”, la calligraphie japonaise, l'artiste espagnol établi à Tokyo retranscrit une certaine nostalgie au travers de ses oeuvres.