L’ombre, signe de présence ou d’absence ?

La série “Shadow Paintings” de l’artiste japonais Jiro Takamatsu interroge notre rapport à la matérialité des œuvres.

31.03.2021

TexteHenri Robert

© Jiro Takamatsu, courtesy of Fergus McCaffrey Gallery

« Nous trouvons la beauté non pas dans la chose elle-même, mais dans le motif de ses ombres, de la lumière et des ténèbres… Sans les ombres, il n’y aurait pas de beauté. » Ces mots sont issus de l’ouvrage Eloge de l’ombre (1933) de l’auteur japonais Jun’ichiro Tanizaki. Et, bien qu’ils n’aient pas été cités par Jiro Takamatsu, il est difficile de ne pas les associer à son œuvre. L’artiste, né en 1936 et disparu en 1998, est aujourd’hui célèbre pour ses Shadow Paintings.

Près de 10 ans après la publication de la monographie de l’artiste Jiro Takamatsu: Shadow Paintings and Drawings par le Musée national d’art d’Osaka, la Galerie McCaffrey Fine Art organisait en 2010 la première exposition personnelle des œuvres de Jiro Takamatsu aux États-Unis, se concentrant sur la marque de fabrique de l’artiste : l’ombre. Influencé par les mouvements artistiques dada, surréalistes et minimalistes, il fit partie en 1963 des fondateurs du collectif Hi Red Center avec Genpei Akasegawa et Natsuyuki Nakanishi, avant de devenir un membre clé du mouvement Mono-ha, aux côtés de Lee Ufan. Sa carrière l’a amené à exposer à la Biennale de Venise, à la Biennale de Paris ou encore à la Documenta Kassel.

 

Rendre visible l’invisible

C’est en 1964 que l’artiste entame la série Shadow paintings, en peignant notamment l’ombre d’un cintre sur une toile, sur laquelle il avait précédemment fixé un crochet à vêtements. Ces expériences ont ensuite donné lieu à l’apparition d’ombres de personnages sur ses toiles, ou sur des murs extérieurs. Selon la vision de Takamatsu, les ombres des objets et des corps représentent l’absence, la non-existence, et permettent une meilleure représentation de l’essence des choses que les objets eux-mêmes. Cette réflexion, qui révolutionne la manière de percevoir l’œuvre, est notamment née de l’observation d’images d’ombres dans les gravures sur bois japonaises du XIXème siècle.

Le travail de Jiro Takamatsu autour de l’ombre mérite une prise de distance et une nouvelle contextualisation. Comme le note la critique Rosalind Krauss dans Le photographique: pour une théorie des écarts (1990), « pour ceux qui vivaient à l’ère de la naissance de la photographie, la trace n’était pas seulement quelque chose de secondaire à l’objet, elle était une empreinte. » Ils ne faisaient qu’un. Ainsi, au XIXème siècle, une « théorie des fantômes » prétendait que les corps humains étaient composés de plusieurs couches d’images, et que l’appareil photographique capturait ces couches afin de rendre visible l’invisible. Si le thème de l’ombre a été abordé par de nombreux artistes, ce sont ses origines que Jiro Takamatsu explore, en s’efforçant de capturer l’invisible et en faisant attention au visible, en ne jouant pas avec la forme, mais avec le temps.

Autre facette de l’œuvre de l’artiste, entre 1974 et 1991, il a créé sa seule série photographique, Photographs of Photographs, une enquête sur les limites de la photographie et son rapport à la mémoire et à l’appropriation. Ce travail est à découvrir dans l’ouvrage PHOTOGRAPH: Jiro Takamatsu publié par AKAAKA en 2008.

 

La série des Shadow Paintings de Jiro Takamatsu est présentée sur le site de la Fergus McCaffrey Gallery.

© Jiro Takamatsu, courtesy of Fergus McCaffrey Gallery

© Jiro Takamatsu, courtesy of Fergus McCaffrey Gallery

© Jiro Takamatsu, courtesy of Fergus McCaffrey Gallery