Phew, le bruit d’une nouvelle décennie

Surgissant de l'obscurité, le dernier album de l'artiste expérimentale, “New Decade”, interroge notre étrange rapport au temps.

05.11.2021

TexteMiranda Remington

Photo: Masayuki Shioda

Si cet album prend des tournures parfois inattendues, la musique de Phew résonne toujours sur ses propres fréquences. Figure reconnue du courant post-punk et Japanoise (musique bruitiste japonaise), l’artiste présente dans New Decade — sa première collaboration avec Mute Records depuis 30 ans —  une identité chancelante, révélatrice d’une sombre musique drone (un genre musical qui se caractérise par ses bourdonnements).

La voix de Phew est toujours bornée d’un bourdon (drone en anglais) métallique, symbole d’une civilisation « technologique ». À travers de vieux synthétiseurs en boucle, de boîtes à rythmes et d’une guitare tremblante, New Decade déploie un vide rocailleux plutôt qu’un message saignant. Dans ses oeuvres en solo ritualisées, la voix de Phew existe de manière liminaire, entre déclaration solennelle et sardonique, en anglais et japonais, créant un écho qui ne trouve aucun point à percuter.

 

Hypnose Monochrome

Phew, ou Hiromi Moritani, est une figure rayonnante de l’underground depuis ses débuts dans les années 1970, où elle était à la tête du groupe Aunt Sally à Osaka. Membre du label culte du Kansai, Vanity Records, elle a établi un son post-punk d’avant-garde et personnel. Une pratique nourrie par ses expérimentations avec l’amplification sonore, amenée par le boom technologique japonais dont Phew reniait le pendant pop pétillant et superficiel.

Ses explorations ont duré des décennies, donnant lieu à des collaborations avec Ryuichi Sakamoto et des membres de groupes allemands expérimentaux de premier plan — ceux de Can ou d’Einstürzende Neubautens — jusqu’à son travail en isolation, à l’ombre des énergies dystopiques de 2020/2021. Depuis qu’elle a commencé à œuvrer en solo, l’artiste s’est lancée dans une série d’albums expérimentaux défiant tous les genres, qui se poursuit jusqu’à aujourd’hui, à Kanagawa, où elle combine à la fois le software et le hardware avec sa voix prophétique.

Toujours portée par l’audace et l’expérimentation, Phew propose avec New Decade une œuvre qui semble résonner comme « un deuil sans visage » de promesses futuristes aujourd’hui envolées. Au début de la décennie 2020, ce sur quoi l’humanité fermait jusqu’alors les yeux a surgi, se manifestant par des crises climatiques, un chaos politique et des urgences sanitaires.

Le bourdonnement électronique et grisâtre de son premier morceau ‘Snow and Pollen’ pourrait faire référence aux désordres climatiques observés ces dernières années, dépeignant un climat dont la mutation est irréversible. L’hypothèse d’un avenir compromis se matérialise dans son travail, fait d’une poésie envoûtante qui semble avoir été écrite dans l’obscurité totale, associée à sa voix tourbillonnante, dérivant à travers l’électromagnétisme de ses propres instruments. Son récit, ses atmosphères, présentés en strates plutôt que linéairement, exprime ainsi la structure propre à notre époque.

Si New Decade dépeint un univers obscur et sobre, les pensées de l’artiste répondent à la réalité des sentiments d’une période déconcertante et ce, avec la sincérité d’un haïku. Dans une modernité faite d’isolement et d’incertitudes, cette musique permet de célébrer la dimension rituelle de l’art.

 

New Decade (2021), un album de Phew produit par Mute Records.

 

Phew, “New Decade” (2021). Mute Records.

Photo: Masayuki Shioda

Photo: Masayuki Shioda